Emmanuel Todd prédisait l'effondrement de l'UE en 2014

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L'Europe est peut-être allée chercher sa mort en Ukraine

I Élections en Europe et en Ukraine : peut-on les mettre en regard ?

T Pas vraiment, si ce n'est que les deux se passent dans des systèmes en désintégration. La désintégration de la société Ukrainienne est beaucoup plus avancée que celle des pays ou du système Européen. Il y a une certaine ironie c'est vrai.

Si on prend ce qui se passe en Europe, Russie incluse, on est en train de vivre le match retour de 1990. Je me souviens d'une image, qui était censée être drôle, où l'on voit l'Union Soviétique se désintégrer et l'Europe se réunir. Et là tous les résultats électoraux de l'Europe - si difficiles à analyser dans le détail mais si clairs dans leur esprit général - montrent qu'on est confronté à un système en désintégration politique, et au contraire que la Russie est retombée sur ses pieds. Elle est redevenue un pôle d'attraction, et à côté de la Russie, l'Ukraine est celle des anciennes républiques Soviétiques qui n'a pas trouvé son équilibre, et dont la désintégration va se poursuivre quels que soient les résultats de ces élections, et quelles que soient les décisions politiques. Il y a des choses plus profondes à l’œuvre.
I Et la désintégration de l'Europe se joue particulièrement avec ce qui se passe en Ukraine ?

T Je pense que ce sont les Européens, certains Européens qui ont foutu le feu à l'Ukraine : le voyage de Steinmeier, avec le Polonais Sikorsky, ministre des affaires étrangères, qui avaient pris Laurent Fabius dans leurs bagages, qui ont été à Kiev, qui ont fini par s'asseoir sur ce qu'ils avaient signé, cette espèce d'encouragement donné aux groupes extrémistes, à l'extrême droite Ukrainienne, c'est vraiment une grosse responsabilité des Européens. Il est très curieux que cette Europe qui elle même est en train de s'effondrer continue d'une certaine manière d'être expansionniste.

Alors ce n'est pas l'Europe, c'est l'Allemagne et la Pologne. Et un peu la Suède qui est très russophobe. J'ai de plus en plus l'image d'une Europe qui est une Supernova, vous savez ces étoiles qui deviennent très brillantes au moment où elles explosent.

J'ai l'instinct historique et je sens que l'Europe va chercher sa mort quelque part dans les plaines d'Ukraine.

I. Retour des puissances nationales Européennes, notamment l'Allemagne ?

T Il n'y a pas que l'Allemagne en fait.

Je crois que les dirigeants Français sont très très particuliers. Ils ont une faible conscience géopolitique. Ils ont même une faible conscience de ce qui se passe historiquement ... qui est un retour et une divergence des nations. Dans la phase de montée de la société de consommation, on avait l'impression d'une convergence. Et cette convergence économique, c'était l'hypothèse qui était derrière la construction de l'Euro. Mais les nations sont restées les nations, la vie économique est devenue beaucoup plus dure. La compétition internationale, le libre-échange ... et donc les nations sont devenues les pôles de résistance. Il y a eu des nations fortes et des nations faibles. Maintenant on a les sous-hommes de la Méditerranée, on a le peuple des seigneurs démocratiques Allemands.

Ce n'est pas une provocation, j'ai dit ça dans Die Zeit l'autre jour dans une interview. Qu'on ne m'accuse pas de Germanophobie, je parle comme ça en Allemagne aussi !

Et donc on a l'Euro, qui a été construit quand il ne fallait pas, et donc on a cette dérive des nations, mais ce n'est pas juste l'Europe Occidentale, l'autre grande nation, il n'y a pas que l'Allemagne - l'Allemagne est un grand projet national, je n'oserai pas dire qui réussit, parce que leur fécondité est tellement faible et il y a de tels éléments d’archaïsme dans le fonctionnement social Allemand que je ne suis pas tellement optimiste pour l'Allemagne elle-même - mais la grosse surprise nationale, c'est la Russie !

Je dis surprise parce qu'on a un problème avec la Russie, qui avait fini par m'atteindre - j'avais prédit l'effondrement l'effondrement du système Soviétique, mon âme est pure, on ne peut pas me soupçonner de sympathies à priori, mais depuis le début j'ai été quand même énormément choqué par le développement d'une russophobie pathologique dans la classe politique et les médias Français. A l'intérieur de cette russophobie ...

I ... c'est moins une russophobie qu'une Poutinophobie quand même ...

T ... oui, c'est intéressant, on appelle ça une Poutinophobie. Je dirais que le leader responsable dans cette espèce de non-regard serein et intelligent sur la Russie, c'est il faut le dire, le journal Le Monde. Le Monde a eu un rôle ... Ça m'a frappé parce que je travaillais au Monde à l'époque du Brejnévisme triomphant. J'étais convoqué quand je faisais un article antisoviétique. Mais j'ai vu le Monde devenir russophobe, poutinophobe, au moment où la Russie, sans être un système complètement acceptable au regard des normes occidentales, était un système en amélioration. Mais tant qu'on est dans la Poutinophobie pathologique, c'est pas bien, mais si ça n'a pas de conséquence pratique, pourquoi pas ...

Mais en réalité on a été, et largement à cause de ces problèmes de leadership absurde du Monde, aveuglés au fait que la Russie retombait sur ses pieds. C'est à dire qu'entre 1990 et 2000, le système était en désintégration. Depuis 2000, la Russie a survécu. Ce n'est pas le Poutinisme ; Poutine n'est que la surface de ces choses. Donc la mortalité infantile a recommencé à baisser assez vite, la mortalité masculine aussi ... la fécondité a remonté, la balance migratoire est positive, la population Russe a arrêté de décroître. Le taux de chômage est tombé à 4%, même l'agriculture Russe redevient présente sur les marchés internationaux. Et donc on a été aveuglés par cette espèce de Poutinophobie imbécile au fait qu'un acteur majeur revenait sur la scène internationale et en Europe.

C'est ça l'Ukraine.

Quand vous voyez Steinmeier et ses petits camarades qui foutent le feu à Kiev pour tout d'un coup s'apercevoir que les Russes sont remis sur leurs pieds, n'ont plus peur, et que eux, à la différence de Poutine, n'ont pas d'armée - qui a été en plus retapée. Le problème n'est plus la Poutinophobie, le problème c'est intégrer dans notre esprit, dans notre représentation de l'Europe à venir le fait que la Russie est là pour rester et que sa puissance relative va augmenter parce que les Russes, maintenant, ont ce qu'on n'a plus nous : chez nous, les gens sont désespérés - beaucoup plus riches, tout va mieux en un certain sens en termes de confort d'existence - mais les Russes, comme les Allemands sans doute, sont en train de retrouver la fierté d'être Russes, tout simplement.

Je ne dirais pas qu'on aurait besoin d'être fiers d'être Russe ici !

Mais un sentiment de fierté d'être Français, ce serait pas mal.

I Longue durée, moyenne durée. Après la chute du mur on s'est focalisés dans le débat Européen sur la frontière asiatique avec la Turquie, et c'est vrai que la manière de penser les relations entre l'UE et la Russie a été laissée de côté. Les stratèges avaient toujours l'idée que la Russie était un ennemi potentiel et qu'il fallait consolider les liens avec la Pologne et puis qu'au-delà, on verrait ce qu'on pourrait faire. L'Ukraine servirait un peu de tampon. Comment expliquer cette incapacité qu'il y a eu, alors que le Général de Gaulle disait qu'il fallait faire l'Europe de Vladivostok à Tamanrasset, cette incapacité à penser les relations avec la Russie, qui a été vue d'abord comme un lieu où l'on pouvait faire des affaires, mais qui sur le plan politique à complètement été laissée de côté ?

T Au départ, les Européens de l'Ouest, je parle des dirigeants, pas de la presse - je ne veux plus parler du Monde ...

I ... vous lui donnez beaucoup d'importance ...

T ... peut-être que les dirigeants socialistes ne lisent même pas le Figaro, qui est bien meilleur en politique internationale, c'est très important ... assez ri !

La première attitude de pays comme la France ou l'Allemagne vis à vis de la Russie, politiquement, stratégiquement, n'était pas déplaisante. Je vous rappelle qu'au moment de la guerre d'Irak, on a eu des conférences de presse communes, avec Chirac, Schröder et Poutine justement. Tous opposés à l'invasion etc. Et il y a eu toute une phase, dans cette période, dans laquelle les Européens de l'Ouest - les dirigeants politiques - étaient relativement neutres ou positifs vis à vis de la Russie.

Mais c'étaient les anglo-saxons, les Américains, qui menaient la danse avec l'aide si on peut dire de la Pologne, des Pays Baltes, et qui ont cherché à pousser leur avantage. Il y a eu vraiment une période dans laquelle c'était les Américains qui étaient à la manœuvre. C'était la ligne Brzeziński, qui consistait à pousser les frontières de l'OTAN le plus possible ... et en fait essayer de se débarrasser de leur véritable rival stratégique, qui était la Russie.

Mais ça justement, et ce qui est très intéressant dans ce qui se passe actuellement, c'est que ce qui a défini la ligne Obama, ce n'était pas ça. Obama c'était le pivot vers l'Asie, apaiser les relations avec la Russie. Et l'action offensive des Européens, l'attitude vraiment très bizarre vis à vis de la Russie, de manière autonome, c'est très récent. Et je ne pense pas que ce soient les Européens. Je crois sincèrement que les Français, quand ils sont en Ukraine, ne savent pas où ils sont. Ça n'a pas de sens.

Mais quand les Allemands, les Polonais et les Suédois activent des politiques Européennes anti-Russes, on est dans autre chose. C'est à dire que l'Europe est devenue, on le voit au moment des élections, on voit bien que chacun vote selon ses particularités nationales, il est impossible de donner une interprétation générale, en fait l'Europe est devenue une sorte de sac de pommes de terres dans lequel les pommes de terre nationales s'agitent indépendamment les unes des autres.

Et là, pour ce qui se passe à l'Est ... pour les Français l'Ukraine ce n'est rien. Pour les Russes c'est très près. Pour les Polonais, ça existe. Pour les Allemands, ça existe. Et en fait si vous lisez les sites d'information Russes en Français - d'excellentes choses comme Ria Novosti etc., des choses qu'on est forcé de lire à cause de l'état de la presse Française - les Russes savent très bien qu'ils ont à faire aux Allemands. Et les Allemands savent très bien qu'ils ont à faire aux Russes. Et les Polonais ... vous voyez ? On est très en retard en France sur la perception réelle de ce qui se passe en Ukraine.

I On pourrait vous rétorquer aussi que par rapport à la manière dont Poutine gouverne, et dont il met à mal les libertés démocratiques en Russie, en favorisant et en encourageant un contrôle du pouvoir politique sur l'économie ... l'Europe pourrait aussi avoir à défendre un projet alternatif qui serait une défense quand même minimale des libertés publiques, de la démocratie, et que c'est quand même ça aussi, qu'un certain nombre d'Ukrainiens, qui ne sont pas tous nazis et naïfs, reconnaissent quand même dans l'UE ... non ?

T Oui ... l'idée de l'homme universel est une belle idée Française. L'homme est universel, mais les systèmes sociaux ne sont pas universels. La Russie n'est pas la France, ni l'Allemagne. La culture familiale Russe était une culture autoritaire et égalitaire dont l'explosion a produit le communisme, et pour moi il était tout à fait évident que la sortie du communisme n'allait pas faire de la Russie un système social libéral, démocratique, une démocratie d'alternance. Il y a des choses qu'il faut accepter dans la vie. Donc la culture Russe est une culture égalitaire autoritaire ... bien entendu il y a des valeurs universelles, mais la politique internationale, ça n'est pas non plus faire comme si les spécificités culturelles nationales n'existaient pas.

Je vais vous donner un exemple. Peut-être vais-je vous surprendre. L'Ukraine, dans sa partie principale, occidentale, est assez différente de la Russie sur le plan des structures familiales. Il y a une culture qui est plus libérale, peut-être plus bordélique, plus anarchique aussi, mais il y a une différence, donc dans un certain sens - jamais je n'ai dit ou considéré que l'Ukraine c'était la même chose que la Russie. Mais tout ça, ça fait partie des choses qu'il faut intégrer dans l'analyse.

La Russie est vraiment un cas très particulier, je parle de démocratie autoritaire. Poutine est soutenu par 80% des Russes. Si on croit vraiment à la démocratie comme représentation du peuple etc, le type illégitime actuellement c'est plutôt Hollande et le Parti Socialiste, il faut être honnête. Poutine a 80% de la population Russe avec lui. C'est une population qui doit avoir une certaine sympathie, disons, un mode de gestion autoritaire.

Donc vous avez en Russie une culture qui ne nous est pas absolument semblable et qu'on ne pourrait pas accepter pour nous-mêmes. Par exemple, dans mes phantasmes les plus fous, si j'imagine une ... Europe en désintégration, mon premier réflexe c'est l'idée de fuir aux USA ... je suis proche, personnellement, du monde anglo-américain. Mais le paradoxe l'histoire Russe c'est que la Russie s'est imposée à elle-même des souffrances extraordinaires, vraiment, et des choses horribles - mais la réalité de l'histoire en Europe et ailleurs, c'est que au fond, on a plutôt bénéficié de la Russie comme facteur d'équilibre.

C'est la Russie Stalinienne qui a mis à bas le nazisme. Et aujourd'hui je dirai ce que les gens ne semblent pas arriver à comprendre c'est que même si on pense que les États-Unis c'est pas si mal que ça, qu'on leur doit notre modernité, et qu'on y fuira si ça commence à chauffer en Europe ... il faut accepter l'idée que des États-Unis tout-puissants au monde et sans rival stratégique ne sont une bonne chose pour personne, et surtout pas pour eux-mêmes. Et la Russie, en tant qu'acteur stratégique de pôle d'équilibre, est une chose positive dans le monde. C'est ça le paradoxe Russe. Un système dans lequel on ne pourrait pas vivre, mais dont on doit admettre qu'il joue un rôle d'équilibre positif sur la planète.

I Je voudrais revenir à l'Europe de Bruxelles, puisqu'on a la chance d'avoir un prévisionniste qui s'est rarement trompé...

T. ... mes enfants tiennent la liste de mes erreurs (de l'élection de Sarkozy à l'intelligence de Hollande, que d'erreurs !) ...

I ... malgré tout je voudrais sérieusement vous interroger sur la suite de la construction Européenne, et de l'Euro, car manifestement vous prévoyez un éclatement de la monnaie unique, et je voulais savoir si cet évènement là va entraîner une dislocation, un retour au national, ou au contraire sera l'occasion pour l'Europe de faire autre chose.

T C'est vraiment très difficile de faire des prédictions ... on est dans une combinaison d'impossibilités en Europe actuellement. La monnaie unique ne marchera jamais, c'est un contre-temps historique évident, c'est avéré. L'économie Européenne est le trou noir de l'économie mondiale. D'un autre côté - j'ai parlé de la divergence des nations - et il n'y qu'à regarder, il n'y a qu'en Europe qu'on se raconte des histoires - on doit sauver l'Euro de temps en temps ...

I ... ça ne marchera jamais mais peut-être que ça peut continuer longtemps ...

T Voila ! Parce qu'il y a une autre impossibilité à laquelle il faut s'habituer, qu'il faut intégrer dans l'interprétation et la prévision, il est clair que les dirigeants Européens et en particulier les dirigeants Français ne comprendront jamais, ou n'accepteront jamais de tenir compte de la réalité. Une sorte de lâcheté, de manque d'intelligence, peut-être parce que l'Euro est devenu une sorte de croyance religieuse...

I ... mais est-ce qu'ils peuvent dire aujourd'hui on sort de l'Euro ?

T C'est ce que je dis. Lorsque j'entends dire qu'on va se réunir à l’Élysée pour tenir compte des élections Européennes, il est évident qu'ils ne vont pas en tenir compte du tout, il est tout à fait évident que des types comme Hollande, Fabius, Sapin, Valls ... n'ont ni l'intelligence ni le courage de faire quoi que ce soit. Donc ça ne peut pas marcher, ils ne pourront pas en sortir, que va-t-il se passer ?

On devient alors attentif à la notion de grain de sable.

Et c'est pour que ça que je suis extrêmement attentif à ce qui se passe en Ukraine, et c'est pour ça que je dis que peut-être que l'Europe est allé chercher sa mort en Ukraine.

Parce qu'avec l'Ukraine, société dont la désintégration va continuer, ça s'observe démographiquement - c'est pas parce que Poroshenko a été élu que ça va s'arrêter. L'Ukraine n'est pas juste un failed state, comme on dit un État en faillite, c'est une failed society. C'est à dire que la population Ukrainienne a baissé de 12,5% ...

I ... mais quel rapport entre cette désintégration de l'Ukraine et de l'Europe ?

T Je ne sais pas ...

Je peux vous dire pourquoi l'Ukraine va continuer à se désintégrer, c'est très facile. Et ce sera grâce à l'Europe d'une certaine manière.

Parce que les Russes veulent prendre ou voulaient prendre le contrôle de l'Ukraine, en partie, mais plutôt avec l'idée de retaper l'Ukraine, et d'en faire une partie de leur système.

Le seul projet ou la seule réalité de l'Europe pour l'Ukraine, c'est de lui piquer sa main-d’œuvre qualifiée. Si vous comparez - ce que j'ai fait - la production de diplômés en Ukraine ces dernières années, vous regardez le nombre de jeunes diplômes dans les recensements ... vous voyez qu'ils ne sont pas là. Il y a une hémorragie, ils foutent le camp aux USA, au Canada, sans doute en Europe Occidentale. Et plus l'Ukraine sera intégrée à l'espace occidental, plus ça veut dire qu'en fait sa population active qualifiée sera aspirée par le besoin démographique incessant de l'économie Allemande, qui est en faillite démographique. Donc ça va continuer.

On a noté tout à l'heure les particularités de nos votes de l'Europe Orientale - les gens ne s'intéressent pas au monde en fait - on parle du monde, de la globalisation, mais vues ce que sont les traditions de cette région qui comprend la Pologne, l'Ukraine, la Roumanie, c'est à dire une zone de non-construction étatique, c'est la région dont les élites avant guerre étaient largement les populations juives, qui ont été exterminées comme on sait. C'est une région de violence ...

Je sens, je sens quelque chose de maléfique est en train de ...

I ... maléfique !

T ... et quand je vois dans la région de Lviv - ou Lvov, ou Lemberg - aux dernières élections (pas celles de Poroshenko), avec entre 30% et 40% selon l'Oblast, pour ces groupes de tradition néo-nazie, je me dis que tout ça sent mauvais.

I On peut aussi penser que la Russie a obtenue déjà beaucoup de choses en récupérant la Crimée, en obtenant probablement une fédéralisation de l'Ukraine et une espèce de finlandisation d'un côté ; et que le grain de sable principal, peut-être, pour les dirigeants Européens, c'est quand même la montée des voies nationalistes et régionalistes...

T ... ça je n'y crois pas du tout ...

I ... pour l'instant les choses sont assez ouvertes. On arrive quand même à un certain paradoxe : après les score très élevé, pas seulement en France, aussi en Grande-Bretagne et en Hongrie, au Danemark, dans d'autres pays, des extrêmes droites, on a raison de déporter le regard, mais en même temps il faut aussi s'interroger sur les effets peut-être pas à court terme, mais à long terme de l'installation durable dans le paysage politique Européen de forces nationalistes.

T Mais c'est tellement lent ... quand tout le monde est là à s'exciter sur les 25% de vote du Front National, mais en pourcentage des inscrits ça fait 10%. C'est une question à laquelle nous sommes très habitués.

I Mais au final ça fait un tiers au parlement Européen.

T Mais puisque ce parlement est une usine à gaz qui ne sert à rien ! Ça me fait un peut de peine de penser que tous ces types vont pouvoir s'acheter, après avoir passé cinq années surpayés à rien faire, des appartements .. mais ce n'est pas un drame pour l'équilibre politique, de tout façon ça ne sert à rien, vous voyez ?

I Les abstentions traduisent aussi le fait que les gens considèrent aujourd'hui le fait que l'Europe est un problème, plus une solution, du coup ...

T Pour des raisons de structuration sociale, je sens les phénomènes de domination culturelle et de classe comme extrêmement puissants en Europe Occidentale. L'époque de la démocratie vivante c'était tout le monde savait lire et écrire, et puis il y avait une sorte d'égalité, etc. Là on a des masses de diplômés, c'est vrai que quand ils sont jeunes ils souffrent, et puis ...

I ... il votent Front National ...

T Pas les diplômés ! On a une société extrêmement stratifiée. Avec une population où il y a 40% d'études supérieures, et en bas vous avez 20% de gens calés sur l'instruction primaire ou un peu au-dessus, puis les strates intermédiaires, et très évidemment l'impact du Front National c'est pas juste la catégorie d'en bas, c'est aussi la catégorie du milieu qui a peur de retomber.

J'ai passé un peu de temps au Parti Communiste quand j'étais gamin, et si Lénine nous a appris quelque chose, c'est bien que ça n'étaient pas les masses populaires toutes seules qui faisaient l'histoire. Donc moi je ressens ces société, c'est ce qui est tragique en fait, ces société stables, et en plus on reste très riches, pour ceux d'en haut, et il y a beaucoup de gens en difficulté mais les niveaux de vie restent assez élevé.

L'âge des populations Est-Européennes est terrifiant. On a en France un âge médian de 40 ans, l'âge moyen des votants doit être au-dessus de 50 aux dernières élections. Ce sont des populations - je parle de moi, je n'insulte personne - des populations arthritiques !

C'est pour ça que je pense plutôt à une choc externe, parce que si le système de domination est fort, c'est très difficile à tourner, cette domination imbécile qui appauvrit le continent, l'affaiblit face au monde extérieur - l'échec de l'Euro c'est aussi en partie, ce qui explique la puissance de la Russie. Et c'est pour ça que je pense en termes d'un contre-coup externe.