La Chine contemporaine et l’énigme du moderne: nous répondons dans une émission de radio galère
Nous avons publié les réflexions de cet universitaire australien Jeff Rich qui à partir d’une riche bibliographie anglo-saxonne aborde la Chine d’un point de vue « anthropologique ». Il nous décrit ses dernières plongées dans la modernité de la Chine : des Grands Qing à Xi Jinping et il pose une question effectivement centrale, celle de la « modernité ». Question qui concerne non seulement la Chine mais un grand nombre de civilisations du sud, des pays émergents et de ceux dont l’histoire a été totalement niée. Qu’est-ce que la « modernité » occidentale ? le libéralisme ou et le capitalisme, l’impérialisme dans sa phase de développement industriel ? L’identité des contraires !
Dans notre livre, Jean Jullien met en évidence un fondamental du marxisme puisque Marx affirmait n’avoir découvert qu’un principe politique, la nécessité de la « dictature du prolétariat » ou « démocratie nouvelle ». Cette analyse part d’un constat : nous sommes dans une démocratie dictature, celle du capital, la Chine est une démocratie dictature celle du peuple chinois, si tel n’était pas le cas il serait impossible de gouverner un milliard trois cent millions de citoyens et un parti de 100 millions d’individus lui-même en consultation permanente avec des non communistes… La démocratie dictature du capital n’est plus le « libéralisme » avec son ouverture d’ascension sociale, elle tend vers le fascisme, et la classe capitaliste, l’impérialisme US dont Trump est le syndic de faillite non content d’exploiter, de piller, doit se battre contre tous les autres capitalistes, et elle crée les bases de sa propre destruction. Est-ce que suivant l’exemple de la Chine, les pays majoritaires du sud peuvent adopter un autre modèle moins terrible dans ses effets ? Qu’avons-nous à y gagner nous pays du nord avec notre système en crise profonde ?
C’est tout le sujet de notre livre et hier nous avons eu à radio galère une émission dans laquelle nous sommes intervenus tous les trois Jean Jullien, Franck Marsal et moi Danielle Bleitrach avec notre intervieweur Bernard Genet pour tenter d’avancer sur la question… L’interview que nous publions sera rediffusé par radio galère samedi 14 juin 2025 à 14 H 05 mais voici :
radiogalere.org/emission/comag…
(Il faut cliquer sur le pavé « télécharger » et attendre la fin du téléchargement – rapide – pour pouvoir l’écouter)
Beau travail d’équipe nous dit Bernard Genet qui anime l’émission, il n’y manquait que Marianne que je croyais dans une soirée de détente alors qu’elle participait à une manifestation de soutien à une enseignante qui à la demande de ses élèves avait fait une minute de silence pour les victimes de Gaza et qui risquait d’être sanctionnée… Mais nous avons tous les trois pris le même plaisir à faire cette émission que nous en avons eu dans ce travail collectif et pourtant personnel où chacun a pu exprimer son positionnement intellectuel et politique dans une efficace liberté, ce livre est pleinement collectif dans sa conception, dans sa diffusion, dans son projet politique.
Notre livre entame aussi le débat avec ceux qui aujourd’hui s’interrogent sur le basculement de civilisation dans lequel nous sommes engagés, le monde nouveau est déjà là et pas une simple hypothèse… qui comme ici s’interroge sur celui qui se termine, celui de la « modernité » occidentale…
De nombreux observateurs occidentaux estiment que la principale question à se poser sur l’avenir politique de la Chine est la suivante : la Chine va-t-elle unir des réformes libérales démocratiques à sa puissance économique ? La question s’est personnifiée dans Xi Jinping. Mais je ne suis pas d’accord. La question clé à se poser est l’énigme du « moderne ».
Bienvenue dans le dernier volet de ma plongée profonde de huit semaines dans la Chine en tant qu’État-civilisation moderne. Cette plongée en profondeur vous guide à travers l’un des principaux ouvrages de l’histoire universitaire, Klaus Mühlhahn, Making China Modern : From the Great Qing to Xi Jinping, dans le cadre de mon World History World Tour 2025.
Le huitième volet se penche sur la Chine contemporaine sous la direction de Xi Jinping. Nous posons l’énigme du moderne. La Chine deviendra-t-elle comme l’Occident moderne ? Ou suivra-t-elle son propre chemin vers la modernité ? Ou bien la civilisation florissante de la Chine brise-t-elle le moule de la modernité qui domine la pensée politique et historique depuis le XXe siècle ?
Xi Jinping
La modernité est une idée qui traque notre sensibilité historique. Traité comme l’adjectif moderniste, il décrit la sensibilité esthétique dont notre post-modernité blasée ne s’est pas encore débarrassée. Transformée en verbe, moderniser, l’idée exige que nos sociétés se mettent au programme. Abstraite davantage dans un processus, la modernisation, l’idée hante les hypothèses sur la façon dont la politique, les économies et les sociétés devraient se développer pour devenir des nations avancées. Dans les années 1950 et 1960, la modernisation était l’objectif ouvertement proclamé des chercheurs en sciences sociales qui ont tracé la voie à rebours que les sociétés (dans l’ex-tiers monde colonial) pouvaient prendre pour devenir les sociétés avancées de l’Occident. La plupart d’entre nous pensent encore avec ces outils conceptuels.
Les spectres de la modernité, du modernisme et de la modernisation n’ont pas quitté l’histoire ni les sciences sociales, en particulier sa variante la plus réussie commercialement, l’économie. Vous voyez le fantôme de l’idée même dans le titre de Making China Modern de Klaus Mühlhahn.
D’une certaine manière, le moderne est la charnière narrative entre le passé et le présent. C’est un moyen de donner une conclusion narrative au chaos informe et sans fin de l’histoire réelle. C’est le moment où les historiens s’éloignent de la vision à long terme pour se tourner vers le passé et offrent leurs commentaires limités et banals sur les événements actuels. Les historiens peuvent revendiquer une certaine autorité en lisant plus que la plupart des gens sur le passé. Ils font rarement preuve d’une plus grande acuité à l’égard du présent que quiconque. Nous serons toujours dans l’ignorance quant à l’avenir.
Mais les arguments sur la modernité partent d’hypothèses sur la façon dont l’Occident se rapporte au reste et sur la façon dont les sociétés ont changé au cours de l’histoire. Ce ne sont pas des fabrications impériales. Ils trouvent des modèles dans les faits observés. De nombreux changements ont coïncidé à travers le monde, entre 1780 et 1914, d’une manière qui a défini une nouvelle façon d’être dans le monde, la naissance du monde moderne. Les historiens, les philosophes, les sociologues, les théoriciens de la culture et les politologues oxymores se sont penchés sur cet étrange phénomène pendant un siècle. Il était là dans Le Déclin de l’Ouest de Spengler en 1919 et La Montagne magique de Thomas Mann en 1924. Il y avait une grande question à s’adapter à un monde qui a changé. Comme l’a écrit Virginia Woolf, comment le caractère humain a-t-il changé un jour de 1910 ? Comment la Grande Europe (c’est-à-dire l’Europe, l’Amérique du Nord et le monde russe) a-t-elle pris la tête du monde, à son apogée à la fin du XIXe et au début du XXe siècle ? C’est l’énigme du moderne.
Quelle est l’énigme du moderne ?
L’énigme du moderne est le titre d’un livre influent d’Alan Macfarlane, L’énigme du monde moderne : de la liberté, de la richesse et de l’égalité. Le livre de Macfarlane fait valoir que la modernité est apparue d’abord en Angleterre et au Japon. Sa vision de la modernité était celle d’une société plus décentralisée et plus complexe que les monarchies autoritaires d’Europe continentale et/ou les États despotiques d’Asie.
Mais de nombreux historiens ont démêlé cette énigme et ont proposé d’autres comparaisons, des chemins spéciaux différents et des versions alternatives de l’histoire. À bien des égards, la sociologie historique de Max Weber, qui est la tradition dans laquelle Mühlhahn écrit, est une réponse à l’énigme de la modernité.
Dans l’histoire mondiale contemporaine, Christopher Bayly, The Birth of the Modern World, 1780-1914 est largement considéré comme l’une des réflexions les plus profondes sur cette énigme. Son introduction présente l’énigme comme l’un des trois problèmes historiographiques centraux de son livre. Quelle a été la naissance du moderne ? Comment a-t-elle été vécue dans toutes les parties du monde ? Comment écrire l’histoire de cette modernité, sans tomber dans les pièges de la théorie de la modernisation ou des hypothèses paresseuses sur la supériorité sans fin de l’Occident ?
Bayly a fait valoir qu’au cours de la période de 1780 à 1914 (ce qui, dans l’histoire de Mühlhahn, nous emmène de la chute des Qing à la naissance de la nation chinoise moderne), il y a eu un véritable phénomène mondial de la naissance de la nation moderne.
Il englobait la montée de l’État-nation, exigeant la centralisation du pouvoir ou la fidélité à une solidarité ethnique, parallèlement à une expansion massive des liens commerciaux et intellectuels mondiaux. L’expansion internationale de l’industrialisation et un nouveau style de vie urbaine ont aggravé ces développements profonds. La fusion de toutes ces tendances indique un changement radical dans l’organisation sociale humaine.
(Bayly, La naissance du monde moderne, p. 11)
De plus, il a soutenu que différentes civilisations et États ont convergé au cours de cette période. Bien que les mondialisations précédentes, telles que les échanges mongols et colombiens, aient favorisé une certaine convergence dans le monde entier, ce processus s’est intensifié à l’époque moderne.
Après 1750 environ, cependant, l’échelle de l’organisation sociale et des aspirations est devenue beaucoup plus large au cours de deux générations peut-être. Des communications plus rapides, des entités politiques plus grandes et des idéologies de « civilisation » plus ambitieuses, occidentales et non occidentales, ont alimenté ce changement. Dans le même temps, les sociétés sont devenues plus complexes et plus stratifiées sur le plan interne. Les différences de richesse et de pouvoir sont devenues plus flagrantes.
(Bayly, La naissance du monde moderne, p. 12)
C’est l’énigme qui a lancé mille histoires de l’essor de l’Occident. Nous avons lu sur ces processus dans l’adaptation sophistiquée du récit de la modernisation par Mühlhahn. Mais il y a une subtilité cruciale dans l’argument de Bayly.
La modernité n’était donc pas seulement un processus, mais aussi une période qui a commencé à la fin du XVIIIe siècle et s’est poursuivie jusqu’à nos jours sous diverses formes.
(Bayly, La naissance du monde moderne [2004], p. 11)
Si la modernité est une période, alors cette période prendra fin. Nous pourrions nous demander si notre sentiment persistant de polycrise reflète, en effet, le fait que cette période est terminée. Si le monde moderne est né quelque temps avant 1914, est-ce que le monde moderne est mort quelque temps après 1976, et même à la suite de la grande transformation de la Chine ?
Interprétons-nous l’histoire de la Chine contemporaine comme une version tardive, socialiste et orientale de la modernité ? Ou interprétons-nous l’étonnante transformation de la Chine, ainsi que l’équilibre plus égal des pouvoirs à travers le monde, comme un signe que la modernité elle-même a pris fin et a cédé la place à une période dont le nom peine à naître ?
histoireetsociete.com/2025/06/…
La Chine contemporaine et l’énigme du moderne: nous répondons dans une émission de radio galère
Nous avons publié les réflexions de cet universitaire australien Jeff Rich qui à partir d'une riche bibliographie anglo-saxonne aborde la Chine d'un point de vue "anthropologique". Il nous décrit sesadmin5319 (Histoire et société)
Emmanuel Florac reshared this.