« Ils veulent faire une croix sur l'avenir de Gaza »

Christos Georgalas est un chirurgien renommé de la tête et du cou, professeur à l'université de Nicosie et médecin dans un grand hôpital privé d'Athènes. Il est l'un des rares médecins grecs à s'être porté volontaire à #Gaza ces derniers mois. Il a passé un mois à l'hôpital Nasser de #KhanYounis, dans le sud de la bande de Gaza, dans le cadre d'une mission de l'organisation britannique Medical Aid for Palestinians, du 21 avril #2025 au 21 mai, en compagnie d'un chirurgien vasculaire et d'un chirurgien plasticien.

C'était la deuxième fois qu'il se rendait à Gaza, la fois précédente étant une mission de deux mois du Croissant-Rouge en 2012. Or, au cours du mois où il s'y est rendu, l'hôpital a été frappé à deux reprises par des attaques israéliennes. « Je ne peux pas dire que je suis allé à la guerre. La guerre est une chose très différente. Il n'y avait pas de guerre à Treblinka, il n'y avait pas de guerre à Auschwitz. La guerre a deux armées. Ici, vous avez une population composée principalement de #civils, de #femmes et d' #enfants, qui n'ont aucune possibilité de s'échapper. Et les bombes pleuvent systématiquement du ciel. Elles frappent les hôpitaux, elles frappent les journalistes. Les conditions de vie de mes collègues sur place étaient tragiques. Mais il y a quand même une part d'optimisme, imaginez que nous avons même fait des cours ! Il y avait des examens pour les résidents. À l'époque où j'étais là-bas, nous avions des examens à choix multiples pour que les résidents progressent vers leur diplôme et leur résidence », commence-t-il à raconter.

• Comment avez-vous pris la décision de partir ? Un homme ne pense-t-il pas « je suis en danger imminent » ?
  Je pense qu'il serait idiot de ne pas y penser. 1 400 travailleurs sanitaires ont été tués jusqu'à présent. On y pense, mais on se dit aussi que c'est la chose la plus importante qui se soit produite dans notre génération. Le premier génocide qui... Je pense que la chose la plus difficile est de décider que ce n'est pas notre affaire. Ou alors si, mais à distance. Je ne sais pas, c'est juste que je suis aussi médecin. La médecine, c'est voir les gens qui ont besoin de vous. Je pensais que c'était mon devoir. C'est aussi un moyen pour les Palestiniens de comprendre que la majorité des gens ne partagent pas les décisions de leur gouvernement. Je me suis dit que si je ne pouvais pas changer la politique de mon gouvernement en Grèce, je pouvais au moins montrer dans la pratique que je n'étais pas d'accord avec elle.

Une chose à laquelle je ne m'attendais pas, c'est l'attention qu'ils portent à ce qui nous arrive en Occident. C'est-à-dire les manifestations qui ont lieu à propos de la #Palestine, dans quels pays elles ont lieu, par qui elles ont lieu, quelle est leur ampleur. Ils ont une vision très claire de ce qui se passe.

• Vous êtes rentré il y a quelques heures. Qu'en pensez-vous ?

Deux choses. La première - qui va vous paraître un peu étrange - c'est que je reviens avec une vision plus optimiste que celle que j'avais avant de partir. Ce à quoi personne ne s'attend, c'est que les Palestiniens ne sont pas seulement des victimes. Ils forment une société incroyablement active, dynamique, solidaire et éduquée qui, si l'objectif était de déchirer le tissu social, n'y est pas parvenu. À bien des égards, cette société est plus forte que celle que nous connaissons aujourd'hui en #Grèce.

Deuxièmement, j'ai le sentiment qu'il s'agit d'une #guerre principalement contre les #enfants, ce qui ne peut s'expliquer par l'argument familier « il y a un grand nombre d'enfants à #Gaza, donc statistiquement il y aura beaucoup d'enfants victimes ». Je pense qu'il s'agit en grande partie d'une attaque ciblée, et un député israélien a déclaré que « les enfants sont leur avenir, il est donc doublement plus important de les frapper que les adultes ». Cependant, ce n'est pas une politique que j'aurais imaginé voir aussi fortement.

Parmi les patients que j'ai traités, il y avait beaucoup plus d'enfants que d'adultes. Il s'agit d'enfants de neuf, huit, onze, six ans... Les enfants que j'ai vus avaient des blessures cervicales. Des blessures de quelques millimètres dues à des éclats d'obus, mais avec une vitesse d'entrée très élevée. On pouvait voir dans leur cou un tout petit trou, mais le scanner montrait que leur larynx, leur trachée et leur colonne vertébrale avaient été brisés. Ce sont de petites balles. Nous avons récemment organisé un salon de l'armement en Grèce. Ces hommes pourraient donc être utilisés pour montrer l'efficacité de ces bombes qui, lorsqu'elles explosent, projettent un grand nombre de petits fragments qui couvrent une vaste zone. Ces fragments pénètrent tout ce qui se trouve là. Ces fragments mutilent littéralement les enfants. Il y a bien sûr les enfants morts, que l'on voyait à la morgue... Chaque jour, 200 à 300 blessés arrivaient à l'hôpital. En gros, on peut estimer que le rapport entre les morts et les blessés est de 1 à 3.

• Quel est l'état actuel de l'hôpital Nasser ?

Il a été touché deux fois pendant mon séjour. L'une des préoccupations que j'avais avant d'y aller avec mon équipe était qu'il avait été à nouveau touché en mars. Lorsqu'ils avaient pris pour cible, soi-disant, un dirigeant du #Hamas, l'étage chirurgical avait été touché.

Mes trois premières semaines se sont écoulées sans que l'hôpital ne soit pris pour cible. Il a été visé deux fois au cours de la dernière semaine avant mon départ. Mercredi dernier [14 mai]. Nous avons fait la grasse matinée, nous sommes restés à l'hôpital toute la journée. Pour notre sécurité. Nous ne pouvions pas sortir du tout. Nous pouvions à peine sortir dans la cour.

Nous étions au quatrième étage où se trouvaient les salles d'opération, l'unité de soins intensifs et les dortoirs des médecins étrangers. Le troisième étage a été touché, juste en dessous. Trois heures et demie du matin, le service des grands brûlés. La cible était un journaliste. Le journaliste a été tué, le lit à côté de lui et les infirmières ont été blessés. Cinq jours plus tard, la cour où se trouve la pharmacie de l'hôpital a de nouveau été touchée. La première frappe a été effectuée par deux drones, la seconde par un missile.

• Avez-vous réussi à sortir en ville ? Comment est la situation ?

Oui, je suis sorti même si nous n'en avions pas le droit. Au bout de trois semaines, je n'en pouvais plus. C'était un désastre terrible. Il y avait des rues où les bâtiments étaient systématiquement rasés. Et comme me le disait mon « guide », mon collègue, tous avaient des gens à l'intérieur. Des immeubles de quatre étages où les dalles étaient tombées les unes sur les autres. Et là, on se rend compte du nombre de personnes qui vivaient là. La sœur de mon collègue, mon « guide touristique », qui est stagiaire, a été tuée au cours du deuxième mois du bombardement avec son fils, alors qu'elle était enceinte de huit mois de son deuxième enfant... Presque tous mes collègues avaient des morts dans leur famille ; si ce n'est pas dans la famille immédiate, c'est dans la famille élargie. Il n'y en avait pas un seul qui n'avait pas été forcé d'évacuer sa maison, et pas seulement une fois, mais plusieurs fois. Un médecin chevronné a dû évacuer son domicile dix fois.

● Et où vivaient-ils ensuite ?

Certains d'entre eux vivaient dans des tentes. L'un de mes collègues, Ahmed, vit dans des tentes depuis cinq mois. L'autre a vécu les dix dernières fois dans des maisons de parents ou d'amis. Les maisons à Gaza, vous le savez, ne fonctionnent pas individuellement. C'est-à-dire que quelqu'un trouvera toujours quelqu'un pour pouvoir dormir. Il n'y a pas de logique selon laquelle « ma maison n'a pas été touchée, donc je serai avec ma famille normalement ». Vous remplirez les chambres avec vos cousins, leurs amis, vos parents qui n'ont pas de maison.

Pensez que Gaza n'avait pas de sans-abri avant la « guerre ». Contrairement à nos villes, il n'y avait pas de sans-abri à Gaza. Il y a une culture, une logique - c'est pourquoi je parle à nouveau de solidarité - une culture qui ne permet pas à une personne de dormir et à une autre de vivre dans la rue à côté d'elle. Les gens savent qu'à tout moment ils sont une cible. Le rythme auquel les bombes tombaient était vraiment terrible. Au bout d'un moment, on s'y habitue, mais il ne se passe pas plus de cinq ou dix minutes sans que l'on entende une bombe exploser. Gaza est petite. Il y avait 500 à 600 bombes par jour. Même si on la divise en quatre secteurs, il y avait au moins 100 explosions par jour dans chaque secteur.

• Quelle est la situation actuelle avec le blocus total ?

Tout s'est considérablement aggravé. C'est la pire période de tout le #génocide. Nous étions relativement « favorisés » - en tant qu'Occidentaux et médecins - nous avions la garantie de recevoir des rations. Du riz, c'est-à-dire pendant un mois. Nous nous nourrissions de riz. Exclusivement du riz. Il n'y avait rien d'autre. Parfois, on mettait même des haricots avec le riz. Il n'y avait pas de légumes. Il n'y avait pas de protéines, pas de poisson, pas de fruits, pas de viande évidemment. Pour faire simple, mes collègues avaient perdu 26 kilos depuis le début du génocide. J'ai perdu environ 8 kilos en un mois.

suite:
efsyn.gr/politiki/synenteyxeis…