Je pense à Mathis, 19 ans, cuit vivant dans du goudron à 200°. Je pense à l’horreur sans nom de sa mort. Je pense à ce frais et joli visage, fondu. À ce tout jeune corps réduit en bouillie noire pour un devis.
Je pense à ses hurlements. À son agonie terrifiante. Je pense à son camarade, blessé à son tour, qui a tenté, comme il a pu, de l’arracher aux griffes brûlantes du bitume.
Avant Mathis, j’ai pensé à Lorenzo. À Axel. À Lucas. Quinze ans. Seize ans. Dix-sept ans. Tous morts pendant leur stage en entreprise, pendant que leurs profs épuisés étaient « redéployés » pour surveiller des examens auxquels ces trois garçons ne se présenteront donc jamais.
Il faut bien occuper les enfants, n’est-ce pas ?
La mort au travail, écrabouillés comme de pauvres mouches, ça vous va comme projet pédagogique ?
Quelle magnifique "reconquête du mois de juin".
Enfin, on ne conquiert pas sans quelques petits morts au passage.
Leurs parents, eux, vont pouvoir retourner au boulot, continuer à s’y tuer à petit feu.
Je pense à ceux qui ont 16 ans, 22 ans, 35 ans, 61 ans. Je pense à ceux qui tombent sur les lignes de montage, au fond d’une cuisine, au bord d’un toit. À ceux qu’on enterre dans les statistiques. Je pense à tous ces morts au travail qu’on n’ose même plus compter. Parce qu’ils sont prévus.
Et pendant ce temps-là, nos élites calculent, redéploient, optimisent.
Elles savent, bien sûr qu’elles savent que d’autres mourront. Mais elles, elles n’y pensent pas. Ni avant, ni après.
Elles savent que d’autres Mathis seront carbonisés sur place. Elles savent que les vieux crèveront de chaud dans des EHPAD. Elles savent que les mères accoucheront dans des couloirs sans personnel. Elles savent que les profs tomberont en classe. Elles savent que les aides-soignantes pleureront aux toilettes. Elles savent que les livreurs s'effondreront sur le bitume qu’ils auront trop foulé.
Elles savent.
Mais elles n’y pensent pas.
Ni avant. Ni après.
Elles s’en foutent.
Parce que c’est prévu.
Parce que la combustion humaine est devenue un rouage de la machine.
Et nous, tous et toutes, nous cramerons comme Mathis dans nos appartements chauffés à blanc par un climat déréglé, maquillé en météo passagère.
Nous grillerons ans nos boulots absurdes, nos open spaces sans air, nos cuisines brûlantes et nos vies à crédit.
Nous grillerons à petit feu, cuits dans la marmite de l’avidité, du cynisme, de ce capitalisme en phase terminale qui continue à vendre des ventilateurs pendant que l’air devient irrespirable.
Je n’en peux plus de l’humanité.
Madame Mollette
in reply to Jeanneadebats • • •N'oublions jamais Mathis et les autres, nous au moins on ne s'en fout pas même si ça ne change hélas pas grand chose. Mais on peut dire aux gouvernements et aux patrons ON VOUS VOIT
Madame Mollette
in reply to Madame Mollette • • •