La fédération d'outils open source : enjeux, méthodes et problématiques


Alice de Bardonnèche, Dubois Emmanuel

Savez-vous qu’on dénombre au moins 300 projets de window managers libres ? Cette profusion n’est pas anecdotique, les projets concurrents sont monnaie courante dans le logiciel libre.
Cette multiplicité s’explique tantôt par des dissensions internes et des forks, tantôt par des motivations techniques ou juridiques, voire la certitude de faire mieux que les pionniers.
Bien qu’elle donne à des solutions innovantes ou plus performantes l’opportunité d’émerger, cette profusion engendre surtout une énorme dispersion des forces vives et une duplication des efforts.

Étonnamment, il est bien plus rare que des porteurs de deux projets constatent la similarité de leurs objectifs et de leur pile technologique, et qu’ils en viennent à envisager la fusion de leurs
projets et la fédération de leurs communautés.

Lorsque cela arrive, de nombreuses questions émergent, de nature technique, juridique ou communautaire (gouvernance et animation). Il faut les traiter pour réussir cette fusion et emporter
l’adhésion des deux communautés.

Mettre en commun leurs efforts pour faire émerger un projet plus fort est le choix qu’a fait le CNES (centre spatial français) et de la communauté de glaciologues GlacioHack, respectivement
à l’origine de demcompare et de xdem, deux outils d’analyse de modèle numérique de surface (carte d’altitudes).

Au travers de cette conférence, Alice de Bardonnèche Richard (CS) et Emmanuel Dubois (CNES) nous présenteront l’intérêt de fédérer ces outils, les difficultés rencontrées,
les méthodes d’échanges mises en place et la stratégie retenue.

Captation par @TVn7Toulouse

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B. Sibaud et F. Zara – LINUXFR : depuis 25 ans au service du logiciel libre


LinuxFR.org existe depuis 25 ans. Depuis toutes ces années, le site et son équipe sont dévoués à partager des informations autour du libre. Mais connaissez-vous l’histoire du site, son financement, sa communauté et son fonctionnement ? Et savez-vous qu

podcast.projets-libres.org/@pr…

LinuxFR.org existe depuis 25 ans. Depuis toutes ces années, le site et son équipe sont dévoués à partager des informations autour du libre.

Mais connaissez-vous l’histoire du site, son financement, sa communauté et son fonctionnement ? Et savez-vous quels sont ses défis dans les années à venir ?

Ce sont tous ces sujets que nous abordons avec deux des membres de l’association : Benoît « oumph » Sibaud, directeur de publication et Florent Zara, trésorier.

Cet épisode a été enregistré le 10 novembre 2023.

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Ce podcast est publié sous la double licence Art Libre 1.3 ou ultérieure – CC BY-SA 2.0 ou ultérieure.

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Les Podcasts - Passeurs de Connaissances et Animateurs des Communautés Libres - Isabella Vanni (April)Benjamin BellamyB


Le Podcast est bien plus qu’un simple outil de communication : il offre une proximité unique, une liberté d’expression sans pareille, et une indépendance rare dans le paysage numérique actuel.

Contrairement aux grosses plateformes étrangères où la pression des algorithmes formatent tous les contenus, le Podcast reste un espace décentralisé, où la créativité et l'authenticité priment.

Cette table ronde montrera l'impact du Podcast dans le développement des Logiciels Libres, du partage de savoirs aux stratégies de financement, des modèles économiques aux réglementations légales, des réseaux sociaux à l'animation des communautés.

Animée par Bookynette (April, Framasoft, Parinux), la discussion réunira Isabella Vanni (Libre à vous !), Walid Nouh (Projets Libres !), Cédrix (Burger Tech, Mon blog audio, S Informer Sur La Tech, Librement Linux) et Benjamin Bellamy (RdGP (Rien de Grave Patron)).


Plongez a la découverte des modèles économiques et communautés du logiciel libre !

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[Les fondamentaux] Gouvernance Open Source dans les projets et les entreprises


Savez-vous ce qu’est la gouvernance dans un projet libre ? 🤔 Et dans une entreprise ? Dans ce nouvel épisode de « Projets Libres ! », Sébastien Dinot, expert en logiciel libre chez CS Group, nous éclaire sur ces questions cruciales. Il décortique les di

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Sommaire

Gouvernance dans les projets et les entreprises


Walid : Bienvenue à toutes et à tous pour ce nouvel épisode. Aujourd’hui, c’est un épisode qui découle d’une anecdote que je vais vous raconter. On est au Capitole du Libre 2025 (NDLR : erreur c’est 2024), il est 10 h du matin, je rencontre notre invité Sébastien Dinot, devant son stand, le stand de CS. On discute et il me dit « Écoute Walid, tu as fait un épisode sur les modèles économiques et la gouvernance du logiciel libre, j’ai écouté tout l’épisode et en fait je dois te dire que je ne suis pas content parce que tu ne parles pas du tout de gouvernance. » Et je lui ai dit « Tu as tout à fait raison, donc on va faire un épisode sur c’est quoi la gouvernance dans un logiciel libre et dans une entreprise ». Donc nous y voilà. Notre invité aujourd’hui, c’est Sébastien Dinot, qui va se présenter juste après. Comme d’habitude, mon compère pour parler de ces sujets-là, c’est Raphaël Semeteys qui est devrel chez Worldline. Bonjour Raphaël et bonjour Sébastien et bienvenue sur Projets Libres !

Sébastien : Bonjour Walid et bonjour Raphaël.

Présentation de Sébastien Dinot


Walid : Super, écoutez, on est en forme, il fait beau, c’est parti pour cet épisode. Aujourd’hui, donc, on reçoit Sébastien Dinot et Sébastien, je vais te laisser te présenter tout d’abord. Est-ce que tu peux nous parler un peu de toi et nous dire comment t’es tombé dans le logiciel Libre ?

Sébastien : Je travaille pour la direction technique de CS Group, qui est une filiale de Sopra Steria. Et mon travail au quotidien consiste à accompagner les équipes de CS et nos clients dans leur acculturation au logiciel libre. C’est-à-dire que je vais les accompagner dans les quatre dimensions qui sont la dimension technique, juridique, sociale et économique. Concrètement, ça peut passer par des audits de conformité juridique, un accompagnement pour une contribution, expliquer comment on va libérer un projet, voire la stratégie afférente, ou carrément élaborer la stratégie de l’entreprise vis-à-vis du logiciel libre. J’ai créé il y a 12 ans l’Open Source Program Office – l’OSPO – de CS. Sinon, à part, ça, à titre privé, j’ai été membre du conseil d’administration de l’APRIL, le secrétaire, puis vice-président pendant 13 ans.

Walid : Comment tu as découvert le logiciel libre ? C’était à quel moment, c’était pendant tes études, c’était après ?

Sébastien : Après… je suis vieux. J’en ai un souvenir très précis. C’était en février 1998. En février 1998, je ne sais pas si ça vous parle, mais c’est un pur hasard. J’ai découvert ça bien longtemps après. C’était au moment où Christine Peterson, Bruce Perens, Eric Raymond et compagnie créaient l’Open Source Initiative. Au moment où ils créaient l’OSI, moi, je disais à deux potes, « il faudrait que je me forme à Unix, ça serait quand même bien pour ma culture ». Et ces deux gars m’ont dit, « écoute, on a entendu parler d’un Unix gratuit qui fonctionne sur PC, tu devrais essayer ça. Ça s’appelle Linux ». Ok. Je n’avais pas encore Internet à ce moment-là. Je vais dans une librairie, je tombe sur un bouquin : « Initiation à Red Hat Linux ». Ça devait être la 4.8, je crois, à l’époque. J’ai acheté le bouquin, j’ai installé le CD et j’ai découvert un monde. Et très vite, je me suis dit, « mais c’est génial, j’ai un tas d’outils ». Et tout un tas de questions se sont arrivées, en fait. Comment ça se fait que j’ai tous ces outils gratuitement ? Qui les fait ? Pourquoi ? Comment ça marche ? Je me suis posé plein de questions. J’ai vraiment commencé à m’intéresser à la façon dont étaient produits ces logiciels, qui, à l’époque, pour moi, étaient avant tout gratuits. Et puis, à Paris, en octobre 1998, c’était la Fête de la science, j’entends parler d’une animation autour du logiciel libre à la Cité des sciences. J’y suis allé. Et là, je tombe sur une bande de jeunes hackers passionnés, avec une énergie débordante, qui font des démos et tout. Et puis, je les trouve super sympas. Et là, je pense que le lendemain, j’ai adhéré à leur association qui était l’APRIL.

La création de l’Open Source Initiative (OSI)


Walid : Attends, tu peux rappeler ce que c’est, que l’OSI ?

Sébastien : Alors l’OSI, c’est l’Open Source Initiative.

En fait, autour du logiciel libre, il y a deux mouvements. Il y a historiquement, la Free Software Foundation, la FSF, donc, qui adopte une approche philosophique et politique du logiciel libre et qui a défini ce qu’on appelle la Free Software Definition, la FSD. Et puis, en 1998, il y a des gens qui se sont dit qu’ils étaient plus des techniciens, on va dire, et qui ne voulaient pas entendre parler à l’époque de la dimension philosophique, politique du libre, et se sont dit : « il faut qu’on trouve un nouveau programme marketing pour le libre. Parce que c’est trop compliqué d’expliquer que free, c’est comme freedom, mais que ce n’est pas gratuit ». Donc, on va trouver de nouveaux termes. Et ils se sont réunis pour créer ce qui allait devenir l’OSI.

Sébastien Dinot


Et au milieu de cette bande de hackers, dont certains sont célèbres, Bruce Perens, Eric S. Raymond et puis d’autres, il y avait une femme qui n’était pas hacker, mais qui était… je crois qu’elle est de mémoire, elle doit être… je ne sais pas comment on dit en français. Elle est prévisionniste. Elle étudie les sciences actuelles pour essayer de se projeter dans l’avenir et d’essayer d’anticiper les évolutions. Et c’est… elle, Christine Peterson, que l’histoire a un peu oubliée, qui a suggéré à tout le monde d’utiliser le terme open source. On lui doit ce terme-là.

Walid: c’était la minute historique.

Sébastien: et donc, l’OSI a créé l’Open Source Definition.

Les contributions de Sébastien au libre


Walid : OK. T’as parlé de l’April. Est-ce qu’il y a des projets dans lesquels t’es impliqué, particulièrement ou des thématiques dans lesquelles t’es impliqué plus que d’autres dans le monde du libre ?

Sébastien : Ça dépend si tu parles de projets à proprement parler ou de thèmes. Je m’intéresse particulièrement aux aspects gouvernance, on va en reparler, et à la vie des projets libres. À part, ça, au départ, j’ai un profil de développeur. Et donc, de par mon parcours, mon expérience, j’ai toujours eu le gout du code performant et du code robuste. L’optimisation de code, la fiabilisation du code. Et donc, de là est venue la pratique des tests unitaires, de toutes les bonnes pratiques de développement, de la CI/CD, et tout ça. Et donc j’accompagne pas mal de projets sur ces aspects-là. La mise en œuvre des bonnes pratiques de développement, et comme on est dans le libre aussi, les bonnes pratiques de développement collaboratif. Après, si on parle de projets dans lesquels je suis impliqué, paradoxalement, il y en a peu. Alors, je suis un développeur, je dis être passionné, et je contribue à peu de projets, c’est étonnant. En fait, lorsque j’ai découvert le libre, je me suis aperçu que si je ne codais pas un logiciel, ce n’était pas grave, quelqu’un coderait mieux que moi. Mais par contre j’étais assez doué pour défendre mes idées et que dans ce domaine, nous n’étions pas si nombreux que ça. Et parmi ces personnes-là, peu étaient prêtes à consacrer de l’énergie pour promouvoir et défendre le logiciel libre. Et je me suis dit que c’est plus intéressant que je m’investisse là-dedans. C’est pour ça que je me suis investi très longuement dans l’April. Et après, je me suis aussi investi dans l’Open data. J’ai obtenu certains résultats dont je suis un petit peu fier. Et quand même, je me suis au fil du temps impliqué dans deux projets, plus que d’autres. Alors, je dis plus que d’autres parce que mon métier m’amène à intervenir sur plein de projets ponctuellement et à conseiller plein de projets. Mais sur le long terme, il y a deux projets sur lesquels je me suis investi. Et là encore, paradoxalement, les gens ne me connaissent pas trop sur ces projets-là. Ils ne savent pas que j’existe parce que je suis le gus qui, en salle machine, fait en sorte que les serveurs tournent, que les outils de CI/CD fonctionnent, etc. Donc, des choses pas visibles, en fait. Le premier, c’est un projet créé par CS, en 2002 et libéré en 2008, qui s’appelle Orekit. C’est une bibliothèque de mécanique spatiale diffusée sous licence Apache. Là, j’administre les serveurs, j’ai mis en place la qualimétrie, j’ai mis en place la CI/CD, j’ai introduit des outils tels que Discourse pour que la communauté fonctionne mieux. Je veille à ce que la gouvernance soit appliquée. Alors, aujourd’hui, les développeurs sont géniaux, c’est vraiment un projet génial. Si le monde du libre fonctionnait comme ça, tout le temps, ce serait un monde bisounours. Mais au début, les gens n’étaient pas trop habitués. Donc, je veillais à ce que les développeurs de CS se comportent bien avec la communauté. Parce que ce qu’un projet libre a de plus précieux, c’est sa communauté. Voilà. Et j’ai fait un peu le même genre de choses, mais j’ai arrêté en 2022, pour un projet qui s’appelle Orfeo Toolbox. Donc, de 2008 à 2022. Et là, c’est un projet en C++. C’est une bibliothèque de traitement d’image orienté télédétection, donc pour l’utilisation et le traitement de produits satellitaires. Et à part ça, à titre privé, je suis un randonneur et un amateur de cartes. Et donc, depuis 2009, je contribue massivement à OpenStreetMap. J’en suis à plus de 2 millions de modifications sur le projet.

Walid : Voilà. OpenStreetMap dont on a parlé dans pas mal d’épisodes. Sujet assez récurrent, surtout dans les épisodes sur le transport, on en parle beaucoup d’OpenStreetMap, parce qu’effectivement, c’est un peu la base. Ok, Raphaël, tu as des questions ?

Raphaël : Non, non, c’est clair. Je comprends bien le positionnement que tu décris, Sébastien. Justement, c’est ça qui est fort dans le libre et dans l’aspect communauté. Si chacun apporte quelque chose, il n’y a pas que le code dans la communauté, on va en parler avec la gouvernance.

Définition de la gouvernance dans un projet libre


Walid : Alors, justement… on va passer à la première partie sur la gouvernance, puisque la gouvernance, on a décidé, en faisant cet épisode, d’axer les choses sur deux thèmes. La première, c’est le thème de qu’est-ce que c’est qu’une gouvernance dans un logiciel libre, dans un projet libre et la deuxième, c’est qu’est-ce que c’est qu’une gouvernance à l’intérieur d’une entreprise. Donc, si on prend la gouvernance dans un projet libre, la première question qu’on peut se poser, c’est d’abord, qu’est-ce qu’on appelle la gouvernance ? c’est quoi la gouvernance ?

Sébastien:

Alors, tout à l’heure, je parlais des quatre dimensions du logiciel libre. Et effectivement, un projet libre, c’est un projet qui résulte de la collaboration de personnes morales et physiques dans quatre dimensions, technique, juridique, sociale et économique. Et on ne s’implique pas dans un projet si on ne connait pas les conditions d’engagement.

Sébastien Dinot


Et donc, pour que quelqu’un s’implique dans un projet libre, il doit connaitre les conditions d’engagement sur ces quatre dimensions. Alors, au niveau technique, ça va être le code source, les méthodes, les outils, le guide de contribution, qui vont définir les modalités pratiques de contribution. Au niveau juridique, ça va être les licences et les accords de contribution, qui sont de nature juridique, mais là, empiètent un petit peu sur la dimension sociale, parce que ça peut être une source de tension. Et au niveau social, au niveau des rapports humains, eh bien, c’est la gouvernance et les documents associés, tels que le code de conduite, qui vont définir le cadre social de collaboration. Donc, code et outils, la technique, licence et accords de contribution, le cadre légal et la gouvernance, le cadre social. Après, il y a la dimension économique qui se traite de différentes manières selon que c’est un petit projet ou que c’est un gros projet réunissant de grands groupes. Là, c’est très vaste, en fait.

Et donc, la gouvernance, qui adresse cette dimension sociale, c’est le socle constitutionnel du projet. Elle définit un ensemble de principes et de règles, donc de fonctionnement, et lorsqu’on la publie, ce qu’on appelle avoir une gouvernance ouverte, on fait en sorte que toutes les personnes impliquées dans le projet ou envisageant de s’impliquer aient connaissance des règles d’engagement, des règles de participation. Et ça, c’est très intéressant parce que non seulement ça peut décider effectivement des personnes à contribuer, mais aussi, en cas de dérive du projet, chacun est libre de se référer à la gouvernance et de dire « attendez, là, on sort des clous, vous n’appliquez pas les règles qui étaient tacitement convenues. »

Sébastien Dinot


Alors, une gouvernance, d’un projet à l’autre, elle adresse des points différents, mais il y a un sous-ensemble qu’on retrouve toujours, ce sont les rôles et les droits, je dirais même privilèges associés à ces rôles, les processus de décision et les personnes impliquées dans ces processus de décision. Ça, c’est vraiment ce qu’on trouve partout. Mais on peut avoir d’autres aspects. Par exemple, on peut avoir les objectifs, le périmètre du projet, pour s’assurer qu’il ne parte pas dans tous les sens. On annonce à tout le monde. Et ce qui fait que quand des gens vont proposer de nouvelles fonctionnalités, on va pouvoir dire : « attendez, là, on est en train de s’occuper de choses qui sont en dehors du projet », donc on veut garder le cap.

Ça peut être aussi un code de conduite. Alors… en 2025, quand on voit comment certains se comportent, un code de conduite est plus nécessaire que jamais. J’étais quelqu’un de rétif autrefois au code de conduite et finalement je suis devenu un adepte et je prône l’utilisation du code de conduite, la mise en place du code de conduite. Mais ça peut être aussi la gouvernance, les engagements d’un projet vis-à-vis d’une structure tierce. Par exemple, il existe des fondations open source et beaucoup de projets rejoignent ces fondations, se mettent sous leur ombrelle. Et ces fondations ont des exigences. Eh bien, faire connaitre ces exigences, les relations qui lient le projet et la fondation, ça peut être intéressant, aussi. Donc, la gouvernance, finalement, elle introduit de la transparence sur le fonctionnement du projet et de la confiance. Et la confiance, c’est ce dont on a besoin pour s’engager dans un projet. On est dans l’humain, vraiment, à 100 %. Par contre, il y a un petit détail auquel je fais attention, c’est que j’ai parlé tout à l’heure de socle constitutionnel. Et je vois vraiment la gouvernance comme un socle constitutionnel. Et le problème du socle constitutionnel, c’est qu’il a tendance à sacraliser ce qu’il dit. Et qu’il est difficile de revenir dessus ensuite. Ça demande des processus assez lourds. Et donc, il faut veiller à ne pas trop figer les choses dans le projet. Petite anecdote, tout à l’heure, je parlais d’Orekit. Bon, ce n’est pas très grave, mais la gouvernance, explique qu’on contribue au projet en envoyant des patches par mail. C’était peut-être vrai en 2002, ce n’est plus du tout le cas en 2025. Et je me demande ce que ça fait là, ça n’aurait pas sa place, ça ne devrait pas avoir sa place. Et je vais proposer une révision de la gouvernance pour corriger quelques petits détails, quelques vieillissements de ce type.

Raphaël : Alors, j’ai une question, parce que tu parles de gouvernance ouverte, donc là, c’est quand la constitution, la gouvernance, les règles, elles sont explicites, mais ce n’est pas toujours le cas dans les projets ou alors peut-être que ça apparait en un moment de maturation ou de maturité du projet.

Sébastien : Oui, tu as raison. Ce n’est pas toujours le cas. Alors, quand ce n’est pas le cas, soit c’est des tout petits projets. En fait, il faut bien se rendre compte, vous le savez aussi bien que moi, mais il faut le dire pour les auditeurs, la plupart des projets sont portés par une personne. Et cette personne reçoit toute contribution comme une bénédiction : « c’est génial, j’ai eu une contribution ce mois-ci, c’est fabuleux ». Et donc, cette personne-là, le porteur du projet, ne s’embarrasse pas d’une règle de gouvernance, d’un accord de contribution. Il prend cette contribution, il l’intègre et il est content.

Mais quand votre projet commence à grossir, vous avez besoin de gouvernance pour régler tout ça. Mais ce besoin de gouvernance n’apparait qu’à partir du moment où il est clair que vous entendez partager les pouvoirs. Or, on constate que certains projets, quoique gros, donc on n’est plus dans le cas que je décrivais tout à l’heure, sont volontairement maitrisés par une seule entreprise qui décide de tout. Donc, elle n’a pas besoin de gouvernance, elle décide en interne. Après, les gens décident de contribuer ou pas, mais là, on est dans un rapport totalement inégal, en fait. Donc, les contributeurs externes ne peuvent pas faire entendre leur voix.

Sébastien Dinot


Et je connais plusieurs projets qui en sont morts ou qui ont connu des forks de ce fait. Donc, la gouvernance, effectivement, beaucoup de projets n’en ont pas par ignorance ou volontairement, parce que le pouvoir est détenu par une entité unique et qui n’a pas l’intention de partager.

Par contre, tout projet qui commence à avoir des contributions régulières et compagnie, j’invite leurs porteurs à se poser la question. Parce qu’il ne faut pas attendre qu’il y ait un problème, qu’il y ait un clash, pour régler les choses en urgence, ça risque de dynamiter le projet. Il faut que les choses aient été prévues en amont, pour que le jour où le problème arrive, il y ait des règles auxquelles se référer et qu’on puisse dire de manière objective, non. Ce que tu fais n’est pas acceptable, non, ce n’est pas l’esprit du projet, etc. Ou alors le processus de décision n’a pas été respecté, donc, la décision est caduque.

Walid : Le terme de gouvernance, c’est quelque chose qui est arrivé au tout départ du logiciel libre, ce terme n’existait pas ? C’est quelque chose qui est arrivé au fur et à mesure du temps, et qui, je suppose, a évolué au fur et à mesure du temps aussi ?

L’apparition du terme de gouvernance d’un projet libre et son évolution


Sébastien : Non effectivement, au début, peu de gens se souciaient de gouvernance. Il y a sans doute une exception majeure qui est le projet Debian. Le projet Debian, dès 1997, s’est doté d’un contrat social, suivi en 1998, si ma mémoire est bonne, d’une constitution. Et je me souviens qu’au début des années 2000, tout le monde regardait le projet Debian comme une curiosité. Ils ont un contrat social, c’est étrange, ils ont mis des règles bien strictes. Peu de projets étaient organisés de la sorte. Si on prend le projet GNU, par exemple, qui est bien plus ancien que Debian, parce que Debian a dû démarrer en 1993, et le projet GNU en 1983, donc il a 10 ans de plus. Eh bien, pendant longtemps, le projet GNU, la direction était juste le fait d’écrits de Richard Stallman, qui indiquait ce qu’il comptait faire. Donc, c’est le manifeste GNU, c’est la définition du Logiciel Libre et d’autres documents fondateurs qui ont inscrit le projet GNU dans cette logique-là. Mais finalement, la FSF et Richard Stallman, pendant très longtemps, ne se sont pas souciés de l’humain. Ils ont évacué ce sujet. En fait, ils ne le traitaient pas. Et j’ai appris il n’y a pas si longtemps, par un pur hasard, qu’en 2020, le projet GNU s’était doté d’un contrat social. Un projet créé, amorcé en 1983, ne s’est vraiment doté d’un contrat social qu’en 2020. Par contre, vous avez la fondation Apache, qui elle, on devait être encore… c’était encore le XXe siècle quand elle a été créée, je crois que c’était 1999. Et elle, très tôt, elle s’est dotée d’une gouvernance qu’elle a imposée à tous les projets qui la rejoignaient. Ça a créé « The Apache Way », la façon de faire d’Apache, en fait. On en reparlera certainement. Elle a adopté un modèle méritocratique et elle impose à tous ses projets de fonctionner selon ce modèle-là. D’ailleurs, je repense au projet Debian. Donc, non seulement il y a une constitution, mais en plus, il y a un « Debian Project Leader » qui est élu chaque année. Donc, chaque année, il y a plusieurs personnes qui candidatent. Ces personnes peuvent éventuellement être réélues, mais généralement, au bout de 2, 3, 4 ans, elles passent la main. Et aujourd’hui, on trouve beaucoup de projets qui ont ce mode de fonctionnement. Mais en 1998, c’était l’exception.

Les modèles de gouvernances


Raphaël : Ils font même campagne et tout, c’est tout un système. Et effectivement, entre des Apache Way et Debian Rules, etc., par rapport à ma remarque, de tout à l’heure, quand on démarre un projet, on commence à avoir des contributions. Et puis quelque part, ça s’impose à un moment donné d’organiser ou de rendre explicite les choses. Justement donc, quelle est la boite à outils ou comment quelqu’un ou une communauté qui est en train de s’auto-organiser, sur quoi ils peuvent se baser ? Justement, on a parlé de ça à Apache Way, comment ils font chez Debian. Est-ce qu’il y a des bonnes pratiques, des types de gouvernance même qui ont été définis ?

Sébastien : Avant les bonnes pratiques, il y a des modèles de gouvernance. Historiquement, les deux qu’on a vu émerger, c’est le BDFL, le dictateur bienveillant à vie, et la méritocratie.

Alors, le dictateur bienveillant à vie, porte bien son nom. Il est bienveillant envers le projet, pas forcément envers sa communauté. Et c’est une personne généralement unique, qui décide de tout dans le projet. Et il n’y a aucun contre-pouvoir. Alors, vous me direz que c’est la définition même du dictateur, certes, mais cela pose problème. Parce qu’en fait dès qu’il va y avoir des tensions, le dictateur, au final, a toujours raison. Et donc, il faut des qualités humaines qu’on ne trouve pas toujours chez les développeurs pour que la communauté n’explose pas, et pour avoir le sens de la discussion, tout en disant à la fin, je tranche. Et le BDFL a tendance à favoriser les forks, les explosions de communautés. Donc, c’est un modèle malheureusement souvent toxique, et un certain nombre de projets l’ont abandonné.

Sébastien Dinot


Ou souvent au moment où le créateur initial décide de tourner la page, on ne va pas reconduire un nouveau dictateur, on va passer sur un autre modèle. Et là, généralement, après la dictature, les gens ont envie de quoi ? Ils ont envie de démocratie. Ils n’ont même pas besoin de méritocratie, ils ont envie de démocratie. J’y reviendrai.

Et la méritocratie, c’est différent. C’est un partage des pouvoirs en fonction du mérite de chacun. Alors, en première approche, ça semble vraiment sympa comme modèle parce qu’on se dit, c’est bien. Plus les gens s’investissent dans un projet, plus ils contribuent, plus ils ont de pouvoir. Voilà quelque chose qui est juste. Dans la pratique, le problème de la méritocratie, c’est qu’elle résiste mal à l’usure du temps. Personne ne remet en cause le mérite. Chacun sait ce qu’on doit à la vieille gloire du projet. Et ce qui fait que, même quand des jeunes développeurs rejoignent les instances dirigeantes du projet, quand le jeune développeur, qui lui est actif et à ce jour, est très précieux pour le projet, exprime un point de vue, si le vieux contributeur qui est là, parce que personne ne lui a jamais demandé de partir et que tout le monde sait qu’on lui doit le projet historiquement, etc. Si le vieux développeur n’est pas d’accord, généralement, on va donner raison à la vieille personne plutôt qu’à la jeune. Alors qu’à l’instant T, le jeune contributeur est plus précieux pour le projet. Et donc, on reproche souvent à la méritocratie de créer des castes et de reproduire des biais sociétaux.

Sébastien Dinot


Ce qui fait qu’on a vu apparaitre au cours du temps deux autres modèles. C’est le modèle démocratique auquel je faisais allusion tout à l’heure, où là, typiquement, on se dit, mais finalement, Debian a tout compris. On va organiser une fluidité temporelle des pouvoirs, avec des mandats qui ont une durée limitée dans le temps, des élections. Alors, comme tu disais, Raphaël, Debian, ils font même campagne, ils défendent leur vision du projet, ils mettent en avant leurs espoirs pour le projet, et les développeurs votent. Et puis, vous avez un autre modèle qui, lui, est appelé libéral, parce qu’en fait, grosso modo, il n’y a pas de règle. On va dire plutôt qu’il y a la seule règle qui existe, c’est celui qui fait qui a raison. Donc, il y a un consensus mou, et puis, au final, quelqu’un décide de partir dans une voie, il a codé les choses, et voilà.

Walid : Tu as un exemple d’un projet comme ça ?

Sébastien : Il me semble qu’au sein de la CNCF, j’ai vu des projets comme ça. Mais il faudrait que je regarde… mais oui, il y en a, c’est sûr. La do-ocratie, c’est celui qui fait a raison.

Raphaël : J’avais une question sur le modèle démocratique, en tout cas celui de Debian. Parce que Debian, des gens qui votent dans le projet, c’est ceux qui ont le statut de développeur Debian. Donc il y a quand même un mix. Il faut mériter, quoi. Il faut d’abord être arrivé à développeur Debian.

Sébastien : Si tu transposes ça dans notre société, il faut faire partie de la communauté pour avoir le droit de s’exprimer. Et aux élections en France, à part, je crois, pour les élections locales depuis quelques années, mais il faut être français pour participer à l’élection du président. Tu peux bien résider en France depuis 20 ans, si tu n’es pas français, tu n’as pas le droit de voter pour le président de la République. Et pourtant, tu es concerné.

Raphaël : Faut être citoyen du projet.

Sébastien : Voilà. Et là, pour Debian, c’est pareil. Tu es développeur. Le terme développeur chez Debian est assez vaste. Tu as ce statut-là, donc tu es membre identifié de la communauté, donc tu as le droit de voter. Tu es utilisateur, c’est cool, on est super content de t’avoir, c’est génial. Par contre, non, tu n’es pas membre de la communauté de Debian. Mais effectivement, après, il y a toujours… la démocratie a toujours ses limites, que ce soit sur le logiciel libre ou dans la vie quotidienne.

Raphaël : L’autre biais que je vois aussi dans la partie méritocratie, outre la résistance au temps, c’est les jeux de pouvoir qu’il peut y avoir quand c’est des personnes qui sont payées par des entreprises.

Sébastien : Oui, tu as raison.

Justement, les entreprises adorent la méritocratie parce qu’elles s’investissent dans un projet, elles obtiennent une aura, une reconnaissance, et après, même si elles lèvent le pied, comme personne ne leur demande de partir des instances dirigeantes, comme tout le monde sait ce qu’on leur doit historiquement, non. Elles gardent un pouvoir de décision, tout en ne contribuant plus beaucoup au projet. Donc, les entreprises n’aiment pas trop les modèles démocratiques où, finalement, il faut retourner au charbon chaque année ou tous les deux ans et réobtenir un mandat.

Sébastien Dinot


Walid : Si je repars un peu au début de la conversation, imaginons, moi, je suis un utilisateur de logiciels libres. Je cherche à choisir un outil. Je tombe sur un outil, il a l’air sympa. On va en parler justement, après, ça fait un peu la transition avec la suite, avec les outils. Mais je vais voir un peu. Je m’aperçois qu’il n’y a pas vraiment de gouvernance.

Sébastien : Oui.

Le mode de contribution asymétrique


Walid : Et que c’est un outil avec une société derrière. En fait, en gros, je devrais avoir un gros warning. Attention, ce n’est pas clair. Qu’est-ce qui se passe si demain, je me mets à contribuer à ce projet ?

Sébastien : Oui, tu as raison. Il y a des questions à se poser que ne se posent pas beaucoup de gens. Mais par exemple, à CS, on a des règles à ce sujet-là. Par exemple, il y a des projets qui exigent ce que j’appelle un mode de contribution asymétrique. C’est-à-dire qu’en fait, le projet est sous licence fortement diffusive, mais il n’accepte les contributions que sous licence permissive, très évasive, type MIT, BSD. Ce qui fait qu’eux, ils peuvent refermer le code. Par contre, toi, derrière, tu ne peux pas refermer parce que leur licence, fortement diffusive, type GPL, s’impose à toi. Eh bien, typiquement, à CS, nous n’acceptons pas de contribuer à des projets qui ont un mode de contribution asymétrique. Nous contribuons sous la licence du projet ou nous ne contribuons pas.

Walid : C’est possible, ça ? On te demande que ton code soit sous une licence, mais on le diffuse sous une autre licence.

Sébastien : Tout à fait. Ce sont des projets qui sont portés par une seule entreprise. Elles veulent garder le pouvoir et elles veulent s’arroger… parce qu’en fait, historiquement, il y a plusieurs modes de gestion des contributions. Il y a soit un transfert des droits patrimoniaux, soit des accords de contribution qui sont de type les ICLA (NDLR : Indivual Contributor Licence Agreement), CCLA (NDLR : Corporate Contributor Licence Agreement) classiques ou le Developer Certificate of Origin. Mais si on prend le transfert de copyright, donc le Copyright Assignment, eh bien, il est clivant. Tu demandes à un tiers de contribuer et de te céder ses droits sur sa contribution. Franchement, la plupart du temps, les gens se disent « Non, je contribue à un projet, je ne vois pas pourquoi en plus je cèderais mes droits et pourquoi je n’aurais plus le droit de réutiliser mon propre travail derrière. » Donc, il faut vraiment s’appeler la Free Software Foundation pour obtenir des résultats et des contributions avec une telle exigence. Et encore, je connais des gens dans mon entourage qui refusent de contribuer à des projets GNU parce qu’ils n’acceptent pas le transfert de copyright, y compris au bénéfice de la FSF. Alors, la FSF est bien intentionnée, elle se dit « Si on a tous les copyrights, la seule personne qui peut être attaquée en justice, c’est la FSF. Et nous, on a les moyens de résister à une attaque et de défendre le projet. Donc, on sécurise le projet ». C’est pour ça que c’est très bien. Mais il y a des gens qui n’acceptent pas ça. Et on voit des acteurs commerciaux qui, à une époque, essayaient d’exiger les transferts de droits patrimoniaux. On en voit encore. C’est moins courant, mais on en voit encore. Et comme ça, comme ils sont les seuls détenteurs des droits patrimoniaux, ils sont les seuls à pouvoir décider de la licence. Et donc, ils peuvent éventuellement fournir une version fermée ou changer ultérieurement la licence, sans rien avoir à demander à quelqu’un. Mais après, l’autre stratégie, c’est de dire « Ah non, mais je ne demande pas de transfert de copyright. Par contre, vous contribuez à mon projet sous une licence libre permissive qui me permet de refermer le code, et moi, je le diffuse sous licence, fortement diffusive, donc vous, vous n’avez pas le droit de refermer le code. » Donc, effectivement, pour nous, c’est quelque chose de pas acceptable.

Walid : Bref, on dévie un peu j’allais dire. Déjà, un projet sur lequel tu as un Contributor License Agreement, qui est porté par une boite. Tu peux te dire que le risque que le projet se referme est non négligeable.

Sébastien : C’est une réalité, mais après, ça dépend comment est tourné le CLA, le Contributor License Agreement. Il faut savoir que généralement, le CLA, « vous contribuez au projet, d’accord, merci, et vous acceptez que votre code soit incorporé au projet libre et diffusé sous la licence du projet ». Donc, on prend un projet sous Apache, vous acceptez que ce soit diffusé sous licence Apache. Et effectivement, dans le passé, il y a eu un certain nombre de failles juridiques qui ont amené des projets à devoir changer de licence. Et moi, j’ai dû gérer ce genre de choses, et c’est compliqué. Changement de licence… retrouver tous les contributeurs, leur demander s’ils sont d’accord pour qu’on bascule de la licence A à la licence B, etc. Faire le tri, « lui, j’ai pas de réponse, ou elle, j’ai pas de réponse, finalement, soit on réécrit le code et on le jette, soit on oublie la fonctionnalité ». Donc c’est compliqué, ça peut prendre des mois. SciLab, ça leur a pris un an et demi pour basculer de CeCILL à une autre licence GPL (NDLR : voir l’historique des licences). Par contre, les accords modernes prévoient ça et disent « vous acceptez que nous changions de licence ultérieurement si le besoin s’en fait sentir ». Et c’est là qu’il y a potentiellement un problème. Par exemple, sur Orekit, on dit « il y a une telle clause, vous acceptez », mais on dit dans notre CLA « si on change, ce sera pour une licence qui reste dans l’esprit de la licence Apache 2 ». Autrement dit, le jour où on s’aperçoit qu’il y a une faille juridique dans l’Apache 2, et que des gens l’exploitent, on se dit qu’on va peut-être passer sur une Apache 3 (NDLR : Sébastien voulait dire : « la fondation Apache s’empresserait de publier une v3 et le projet Orekit l’adopterait certainement »), mais on ne passera pas sur une licence propriétaire ou autre chose. Donc, effectivement, il faut être méfiant, mais il faut analyser, toujours pareil, quelles sont les règles d’engagement ? Qu’est-ce que j’accepte ?

De quoi a-t-on besoin pour faire une gouvernance en 2025 ?


Walid : De quels outils on a besoin pour faire une gouvernance en 2025 ?

Sébastien : Moi, je dirais qu’il ne faut pas réinventer la roue. Et il faut partir de choses qui existent et qui ont fait leurs preuves. Donc, déjà, il faut savoir quel modèle on veut adopter : BDFL, méritocratie, libéral, démocratique. Et ensuite, on va voir ce que font des fondations. Parce que les fondations, elles ont des juristes qui ont fait des choses assez élaborées. Et là, on est sûr que c’est solide, par contre, ça peut faire peur. Si vous prenez la fondation NumFOCUS, elle vous propose des modèles de gouvernance. Vous n’êtes pas obligé d’adopter la gouvernance qu’elle vous propose. Par contre, elle a des exigences et votre gouvernance doit être conforme à ces exigences. Mais il y a des projets moins ambitieux et qui sont fort utiles. Par exemple, il y a un projet qui gagne à être connu, qui s’appelle MVG – Minimal Viable Governance : c’est un projet qui adresse… alors ils le découpent en deux. Ils se mettent dans la situation où une organisation voudrait une gouvernance globale pour un ensemble de projets. Et donc, une partie de la gouvernance s’adresse à l’organisation. Voilà quelles sont les règles valables de manière transverse sur tous les projets. Et une partie de la gouvernance qui est proposée s’adresse au projet avec la latitude qu’il a. Typiquement, c’est une très bonne idée de partir sur ce genre de choses plutôt que de tout réinventer. Mais aujourd’hui, clairement, il faut aller voir ce qui se fait dans des fondations et comprendre surtout les implications de chaque modèle.

Qui travaille sur les sujets liés à la gouvernance des projets libres ?


Walid : Qui travaille sur ces sujets de gouvernance ? Est-ce qu’il y a des instances ? Est-ce qu’il y a des groupes de réflexion ? Qui sont les gens qui travaillent sur ces sujets ?

Sébastien : Les fondations, la Linux Foundation, par exemple, Apache, c’est déjà le cas. Donc, le projet GNU, j’ai dit qu’ils ont travaillé sur le contrat social GNU. Donc, ce sont ces fondations qui vont réfléchir à des gouvernances et à des règles qu’elles vont imposer à tous les projets qui souhaitent les rejoindre. Mais sinon, c’est chaque projet qui va décider à son niveau de la gouvernance qu’il va mettre en place. Et par exemple, il m’est déjà arrivé d’accompagner plusieurs projets qui m’ont contacté. Leurs porteurs m’ont contacté. Ils m’ont dit « Nous sommes un consortium, nous voulons libérer un logiciel et nous voudrions mettre en place une gouvernance. » Je les ai accompagnés dans l’élaboration de cette gouvernance après avoir étudié quel était leur projet, quelle était leur stratégie, quelle était leur place dans l’écosystème et quelles étaient leurs attentes, et on a forgé une gouvernance adaptée au projet.

Walid : Mais là, par exemple, les gens ils te contactent, toi, tu fais ça, mais dans tout cet écosystème, qui travaille sur ces sujets-là ? Est-ce que c’est des cabinets de conseil ? Est-ce que c’est des juristes ? Qui sont les experts, en fait, dans ces domaines ?

Sébastien : Alors, je ne connais pas tous les acteurs, tu t’en doutes, mais je sais qu’il y a différents acteurs qui proposent. Je sais que la Fondation Eclipse propose ce type d’accompagnement. Il y a des gens chez eux qui proposent ça. Je suis sûr que tu vas voir des entreprises comme Inno³, qui connaissent très bien, ils sont capables de t’accompagner sur ce genre de projet (NDLR : voir l’épisode avec Benjamin Jean). Après, il y a des gens qui, comme moi, ont une petite réputation, et donc on les contacte, eux, et on passe après un contrat avec l’entreprise qui les emploie. Enfin, voilà, donc il y a un certain nombre d’acteurs.

Mais aussi, on peut aller voir des communautés, comme la communauté Rust, par exemple, qui a beaucoup travaillé sur la gouvernance, sur l’inclusivité, sur pas mal de sujets, qui est plutôt en pointe. Même s’il y a eu des clashs internes à une certaine époque qui ont fait partir certains modérateurs, justement, parce que les règles de gouvernance n’étaient pas respectées par le noyau dur. Mais au moins, les documents existent. La situation est bien évidemment différente selon qu’on est un petit projet avec… on est entre deux potes et on fait un truc ou on est une grande entreprise, et derrière, il y a un enjeu stratégique. On est un grand groupe. Et après, typiquement, tu prends des grandes entreprises comme RTE, qui est très active dans le domaine des logiciels liés à l’énergie. Eh bien, ils ont même décidé de s’adosser à la Linux Foundation. Ils ont même créé la Linux Foundation Energy, LFE, pour profiter de tout ce canevas. Parce qu’à leur niveau, entre opérateurs équivalents entre différents pays, il y avait d’énormes enjeux au niveau de la gouvernance. Je crois qu’il n’y a pas de réponse unique à ta question.

Walid : Je n’attendais pas une réponse unique, mais c’était plus pour faire un panorama des gens qui sont intéressés par ce sujet, qui réfléchissent là-dessus, etc. Raphaël ?

Raphaël : J’imagine que quand on s’approche, on veut rentrer dans une fondation, ça va dépendre de la fondation. Comme tu l’as dit, il y en a qui vont proposer des choses. Il y en a qui vont t’accompagner, comme tu l’as dit. Il y en a qui vont te laisser complètement libre et qui vont dire tu respectes, ça, ça, ça, ça, le reste, c’est ton affaire. Il y a aussi des communautés ou des méta-communautés, comme je les appelle, qui existent et qui peuvent plus ou moins accompagner, voire imposer.

Sébastien : Tu as totalement raison. Par exemple, tu prends la fondation NumFOCUS. NumFOCUS, j’en avais parlé plusieurs fois, c’est une fondation qui, au départ, a pour but de promouvoir l’informatique libre à usage scientifique, à finalité scientifique. Une fois qu’on a dit ça, ça semble très ciblé, mais quand on va voir, comme c’est tout logiciel susceptible d’avoir un intérêt pour le monde scientifique, c’est relativement large. Beaucoup de projets l’ont rejointe. Cette fondation est assez remarquable. Contrairement à beaucoup de fondations qui vont vous faire payer l’adhésion, vous la rejoignez, elle ne vous fait pas payer, par contre, elle a plein d’exigences. Et ces exigences, elles dépendent du niveau d’intégration que vous voulez, du niveau de support que vous voulez. Si vous voulez juste être affilié, vous devez avoir une gouvernance ouverte, elle doit être inclusive, elle doit respecter ceci, cela, après, à vous de voir pour les détails. Et si, par contre, la fondation NumFOCUS peut financer des projets. Et là, si on veut rejoindre ce programme de financement, la fondation NumFOCUS a des exigences supplémentaires. Et notamment, elle veut une place au sein du comité de pilotage, du PMC (NDLR : Project Management Committee), du PSC, comme vous voulez, pour voir de l’intérieur ce qui se passe et s’assurer que l’argent qu’elle fournit est bien utilisé. Donc vraiment, là, on est dans le cadre d’une fondation qui a vraiment une politique à géométrie variable, suivant ce que vous attendez d’elle.

Qu’entend-t-on par gouvernance en entreprise ?


Walid : Passons à la deuxième partie. Parlons maintenant de la partie gouvernance et entreprises. Là, pour le coup, autre chose. Je suis une société ou je suis un organisme public. Bref, je veux contribuer, je veux être un bon citoyen. Comment est-ce que je m’y prends ? Là, de quoi on parle de gouvernance quand on est une société ou une organisation ?

Sébastien : On a le même terme, mais on arrive sur un sujet qui n’a rien à voir avec le premier.

Walid : C’est marrant qu’on utilise le même terme, d’ailleurs.

Sébastien : Voilà.

La gouvernance, c’est, dans l’entreprise, la sécurisation et la formalisation de ta relation au logiciel libre. Sécurisation a deux sens. Sécuriser l’usage, comment je contrôle, ce qu’on utilise et que je m’assure que, par exemple, au niveau des licences, c’est conforme à ma politique industrielle, que c’est conforme à la politique industrielle de mes clients, mes exigences contractuelles, éventuellement à la loi, ou des choses comme ça. Et puis, effectivement, pour les quelques entreprises qui décident de contribuer à des projets libres, voire de publier des logiciels libres, eh bien, comment fait-on les choses proprement ?

Sébastien Dinot


Donc, on va mettre en place des processus pour être sûr que, au final, pour faciliter, parce qu’en cadrant, on facilite paradoxalement, plutôt que de laisser faire et d’avoir des gens qui contribuent sous le manteau parce qu’ils ont peur de se faire taper sur les doigts, ils ne savent pas vraiment ce qu’ils peuvent faire, pas faire. Non, on va cadrer, on va annoncer cette gouvernance, on va dire si vous voulez libérer, si vous voulez contribuer, passez par tel comité qui gère la chose, telle personne. Et on va vous accompagner et vous allez pouvoir le faire. Et on sécurise à la fois l’entreprise, en vérifiant que les choses sont correctement faites et qu’on est en capacité de le faire. Et on sécurise le salarié parce qu’il obtient le feu vert de l’entité qui est chargée de délivrer ses feux verts. Et donc, derrière, on ne peut rien lui reprocher.

Walid : C’est quelque chose dont je n’avais pas forcément conscience, mais en discutant avec toi, tu m’avais pointé sur un exemple, justement, du fait que le salarié, s’il s’adresse, dans le cas de CS, à l’OSPO, on va en parler après, et que vous lui donnez le feu vert, c’est vous qui êtes responsables du fait qu’on libère ce code et ce n’est pas une action du salarié, il n’a pas pris la décision.

Sébastien : Oui c’est ça. C’est qu’en fait, l’OSPO, l’Open Source Program Office, va procéder à l’analyse juridique, va s’assurer qu’au niveau contractuel, nous sommes bien en capacité, que nous n’avons pas transféré les droits à notre client, va procéder à un certain nombre de vérifications. On peut même demander si on voit que le code a été un peu bâclé, qu’il n’est pas à niveau, parce que parfois, ce ne sont pas des projets clients, parfois, qu’on libère, ça va être un outil qu’on a fait en interne. Parce qu’il répondait à un besoin, et on se dit que ce serait sympa de le publier. On va pouvoir avoir des exigences sur la qualité du code, en disant qu’il y a un minimum syndical à respecter, au niveau de la documentation, de l’information donnée aux utilisateurs.

Et effectivement, au sein de l’OSPO, il y a la direction juridique, il y a la direction technique, il y a la direction marketing, qui, dans le process, ont l’occasion de s’exprimer. Il y a ces analyses qui sont faites. Et donc, quand le salarié reçoit le feu vert de l’OSPO, il reçoit à travers l’OSPO le feu vert de la direction technique, de la direction juridique et de la direction marketing. Après, on ne peut plus lui reprocher d’avoir fait ce qu’il a fait. Il a suivi les règles et il a eu le feu vert.

Sébastien Dinot


Ce qui est intéressant d’ailleurs, c’est que quelqu’un m’avait dit une fois, quand j’en avais parlé, « Quand vous donnez l’autorisation à quelqu’un de contribuer, comment vous sécurisez ça ? Vous faites un avenant à son contrat ? » Effectivement, dans beaucoup d’entreprises où les choses ne sont pas cadrées autrement, si on veut sécuriser, on va faire un avenant au contrat. Mais à CS, ce n’est pas la peine. La personne a reçu le feu vert de la direction juridique et de la direction technique. L’OSPO enregistre, trace les décisions, enregistre tout ça dans une forge. La personne est sécurisée, elle n’a pas besoin d’un avenant.

Raphaël : J’avais une remarque parce qu’on disait, ouais, on utilise le même mot, mais en fait, ce n’est pas pour la même chose, mais c’est vrai que tu disais dans le premier cas, une gouvernance, il y a une constitution, il y a des règles, il y a un contrat qui est passé, et là, c’est un peu pareil. Pas qu’on fait tout à fait la même chose, mais tu disais, oui, mais la qualité du code, la documentation, et puis ci, et puis ça, en fait, ça, j’imagine que c’est décrit quelque part. Vous avez aussi quelque part une policy ou une constitution qui est la base de votre gouvernance, en fait.

Sébastien : Tout à fait. La gouvernance, au départ, il a fallu l’écrire, l’élaborer. Après, il a fallu mettre en place des procédures d’accompagnement pour la libération et d’accompagnement pour la contribution. Donc, tu as raison, tout ça est élaboré. Donc, oui, c’est une gouvernance. Mais ce que je voulais dire, c’est que tu as raison, ça relève du même principe, mais déjà là, on ne la publie pas. Cette gouvernance, ça reste un processus interne en entreprise. Et ensuite, l’objectif, il est vraiment de sécuriser la relation d’entreprise à l’Open source.

Raphaël : Oui, ça ne couvre pas les mêmes choses et ce n’est pas le même objectif.

Sébastien : Voilà, c’est pour ça que j’ai voulu distinguer.

Quand apparaît la notion de gouvernance du libre en entreprise ?


Walid : Quand est-ce que ça apparait, cette notion de gouvernance en entreprise ? Parce qu’au début, c’est pareil, les entreprises, il n’y avait pas ces outils juridiques, il n’y avait pas ces organisations.

Sébastien : Je n’ai pas de date à te donner, mais par contre, je devine que c’est apparu très tôt. Dans les entreprises les plus matures, celles qui sont les plus soucieuses du risque juridique d’un côté et de leur patrimoine immatériel de l’autre. D’une part, quand tu utilises des composants et que tu apprends qu’il y a des licences qui sont potentiellement fortement diffusives, tu peux vouloir les interdire. Si on les interdit comme ça en bloc, ça montre qu’on ne comprend pas le sujet. Mais bon, je connais des entreprises… en 1999, j’avais discuté avec un très gros industriel française qui avait déjà repéré la GNU GPL et qui interdisait l’utilisation de composants sous GNU GPL dans son entreprise, par exemple. Il interdisait l’utilisation de GCC alors que le GCC est fourni avec une exception, qui a pris différentes formes au fil du temps, il y a toujours eu une exception qui a fait que l’utilisation normale de GCC ne provoque pas la diffusion de la licence GNU GPL à l’exécutable compilé. Mais bon, très tôt, il y a des sociétés qui se sont souciées de sécuriser leur logiciel, et après, en termes de contribution, quand on contribue, quand on libère c’est toujours un savoir-faire interne que l’on révèle. Et là, il y a beaucoup d’entreprises qui ont le réflexe tout bêtement d’interdire. Et ça, c’est une erreur stratégique à mes yeux, parce que contribuer et libérer, c’est aussi un moyen de se faire connaitre et d’acquérir une réputation technique.

Walid : On en parlera tout à l’heure, justement.

Raphaël : J’avais une remarque sur la maturité des entreprises. Par rapport à ça, notamment l’utilisation.

Moi, j’ai trouvé, en tout cas au cours de ma carrière, que c’est arrivé tôt. Chez les industriels, c’est-à-dire ceux qui ont l’habitude de mélanger du code et du matériel, parce qu’ils ont cette notion de BOM, enfin de Build of Material (NDLR : nomenclature), et après, oui, de Software, de SBOM (NDLR : voir cet article sur le site d’Inno³). Mais effectivement, tu parlais de trucs spatiaux et tout, très vite, des gens ont compris que s’ils envoyaient du code dans l’espace, c’était compliqué après si on avait des problèmes. Ou alors si on avait diffusé des millions de téléphones portables dans la nature et qu’on se retrouvait avec des problèmes de licence. Moi, en tout cas, j’ai trouvé que c’était dans le domaine industriel qu’assez tôt, les gens ont été matures sur ce sujet-là.

Raphaël Semeteys


Sébastien : Il y a eu des grands procès, par exemple, entre IBM et d’autres fabricants de matériel ou de systèmes d’exploitation. On pourrait imaginer, tu prends des milieux où il y a très peu d’acteurs en lice, et ce ne sont que des mastodontes. Par exemple, tu prends l’aéronautique avec Boeing et Airbus. Tu te doutes que si à un moment, il y en a un des deux qui peut faire un croche-pied juridique à l’autre, il ne va pas se priver. Et donc, effectivement, là, il est sûr que les choses sont cadrées. Et le seul problème, c’est que souvent, le cadrage entraine l’inhibition dans ces cas-là. Il faut savoir franchir l’inhibition et jouer la bonne carte.

Walid : J’ai eu exactement les mêmes remarques que tu as dites par un gros industriel du spatial français aussi. La première chose qu’il fait, c’est regarder toutes les licences, analyser toutes les licences et tout. C’est vraiment un travail assez conséquent, finalement.

Sébastien : Oui, tout à fait.

La génèse du terme OSPO et le fonctionnement de l’OSPO chez CS Group


Walid : On vient de dire que la gouvernance, c’est quelque chose qui est arrivé finalement assez tôt. Mais il y a un terme qui est arrivé plus tard, c’est le terme d’OSPO. Est-ce que tu peux expliquer un peu, si tu le sais, comment on en arrive à ce terme d’OSPO et d’où ça vient ?

Sébastien : Alors, le terme en lui-même est très vieux.

Walid : Ah, oui ?

Sébastien : Il existait déjà quand j’ai créé le Comité de pilotage du logiciel libre, le CPLL, à CS. Lorsque j’ai émis cette idée en 2012, enfin, on l’a créé en 2013, il existait déjà. Mais il était utilisé par quelques rares entreprises américaines. Il n’avait pas encore de signification importante, il n’avait pas encore valeur d’étendard. Il a pris sa valeur d’étendard au tournant des années 2020, lorsque c’est devenu un souci d’un plus grand nombre d’entreprises, que du coup, plus d’entreprises ont cherché à créer un tel comité, qu’il a fallu un nom. Elles se sont raccrochées à ce qu’elles ont trouvé. Il y a eu l’OSPO, dans la foulée, il y a eu d’un côté l’OSPO Alliance, portée notamment en Europe par l’OW2 et d’autres acteurs. Et il y a eu le TODO Group, et ces deux entités qui visent à proposer aux entreprises la mise en œuvre de bonnes pratiques pour, justement, sécuriser leur relation à l’Open source, mais la sécuriser de manière positive, sécuriser l’utilisation, mais après, inviter à contribuer et à libérer. Eh bien, ces deux groupes ont popularisé le terme OSPO et à tel point qu’en 2022-2023, à CS, nous nous sommes dit « bon, le CPLL, personne ne connait, chaque fois, je suis obligé d’expliquer ce que c’est. Bon, on va adopter le terme étendard OSPO ». Et le CPLL est devenu l’Open source Program Office.

Raphaël : Tout à l’heure, tu l’évoquais un petit peu quand tu disais, quand on donne le feu vert, le « on », c’est-à-dire les gens qui sont représentés dans l’OSPO, c’est ça, quelles sont un peu les parties prenantes, qui est impliqué là-dedans et pourquoi en fait ?

Sébastien : D’une entreprise à l’autre, c’est très variable.

Il y a malheureusement beaucoup d’entreprises où l’OSPO se résume à une personne. Et le « O » final, il passe de Office à Officer. Et cette personne, elle, n’a aucune autorité particulière, si ce n’est d’examiner les demandes et d’aiguiller éventuellement vers les acteurs complémentaires. Et du coup, quand tu as le feu vert de l’OSPO, tu n’as pas de feu vert, parce qu’il faut encore faire valider par tout le monde.

Sébastien Dinot


J’avais déjà conscience de ça en 2012, lorsqu’on a réfléchi à l’OSPO de CS. Donc, j’ai voulu faire les choses autrement, parce qu’il y avait ce biais-là. Mais il y en avait aussi d’autres. Je connaissais des structures qui avaient déjà des gouvernances, mais elles étaient tellement complexes, il fallait tellement de tampons, ça tuait dans l’œuf toute velléité de contribution ou de libération. Donc, je me suis dit « je veux un truc efficace, je veux un truc qui facilite les choses. Et que lorsque l’on obtienne le feu vert de l’OSPO, c’est bon, on puisse y aller ». Et donc, plutôt que de créer un Officer, j’ai vraiment tenu à créer un Office en disant « qui a son mot à dire dans ce processus de libération ? » Il y a, comme je le disais, la Direction technique, la Direction juridique, et la Direction marketing. Mais il y a aussi la chaine hiérarchique opérationnelle. Parce que finalement, c’est la chaine hiérarchique opérationnelle qui décide de sa stratégie sur son marché. Après, la question, c’est où s’arrête-t-on ? Trop bas, on n’adresse peut-être pas le niveau stratégique, et donc ça ne va pas. Trop haut, si on remonte jusqu’au comité exécutif, on est obligé de tellement contextualiser la demande, de fournir tellement d’informations, c’est inefficace, et en plus, franchement, c’est des choses dont les gens se moquent, ça ne les concerne pas quand ils sont au comité exécutif d’une grosse boite, les détails de stratégie. Et donc, en réfléchissant, on se dit, le bon niveau de décision, c’est la division. Chez nous, maintenant, on est des Business Units. Donc, la division. Et on s’est dit, OK, le chef de division, le directeur de division, décide de sa stratégie. Par contre, il n’a peut-être pas connaissance de certains détails. Il n’a peut-être pas connaissance du contexte contractuel de ce projet-là. Et donc, on a décidé qu’on demandait que la direction technique, juridique et marketing sont membres permanents de l’OSPO. Et qu’on a des représentants de chaque BU pour faire les relais au quotidien, dans les différentes BU. Et on a aussi un ou deux experts Open source pour traiter les demandes concrètement. Mais après, dans le processus de décision, on implique la chaine hiérarchique du demandeur, le chef de projet, le directeur d’activité ou de département et le directeur de division. Et quand le directeur de division et tout le monde a dit oui, nous, de notre côté, on a fait notre boulot, on a fait l’audit juridique, on a demandé quelques ajustements si les attendus n’étaient pas respectés. Et donc, l’OSPO se prononce et dit OK, oui ou non. Généralement, c’est oui.

Walid : Une demande, dans votre cas, c’est un ticket ? C’est quoi ? Comment on fait une demande ?

Sébastien : C’est un dossier que les gens doivent remplir. Il y a un dossier pour la contribution et un dossier pour la libération. Ce dossier permet de saisir les informations qui nous sont nécessaires. Quel est le projet bénéficiaire ? Quelle est sa licence ? Quel est le contexte contractuel ? Ce n’est pas forcément très long, mais il faut que nous le sachions. Ça évite de poser des questions à chaque fois. Et après, c’est pour être sûr que les collaborateurs qui veulent contribuer ou libérer se sont posés des questions. Par exemple, tout à l’heure, on parlait de gouvernance. On leur demande « avez-vous prévu une gouvernance ? ». La réponse ne doit pas obligatoirement être « oui, j’ai prévu une gouvernance, ce sera de la méritocratie ». La réponse, ça peut être « non, parce que c’est un outil pour lequel on ne nourrit pas d’ambition particulière, on pense juste que ce serait sympa de libérer, c’est pour être utile à d’autres. Et puis, si un jour on commence à avoir des contributions, à ce moment-là, on réfléchira à une gouvernance ». Mais c’est être certain que les gens se sont posés la question. Et donc ils remplissent ce dossier, et on examine déjà ce dossier. Parfois, il y a des questions complémentaires, parce qu’il y a des choses qui ne sont pas très claires ou qui nous interpellent. Et puis, après, on va demander un accès au code source et on va regarder un petit peu à quoi ressemble le code.

Walid : Ça, c’est dans le cas où tu veux libérer un projet. Et dans le cas où tu veux contribuer à un projet existant, tu n’as pas cette notion de gouvernance ?

Sébastien : Si. Alors, déjà, on va vérifier que c’est bien un projet libre parce qu’on contribue qu’à des projets libres, que ce n’est pas de la contribution asymétrique. On peut avoir des accords de contribution et faire signer par les développeurs impliqués et par le directeur de division. Il y a ce genre de choses qu’on va traiter dans le cadre d’une contribution.

Contribution d’entreprise vs contribution personnelle


Raphaël : Il y a peut-être des cas aussi, tous simples, je contribue en mon nom, au nom de l’entreprise, qu’est-ce que je mets comme identifiant ?

Sébastien : Alors, là, tu abordes un sujet intéressant qui est que, effectivement, quand c’est dans le cadre de son travail, les droits patrimoniaux sont, de par le Code de la propriété intellectuelle, automatiquement dévolus à l’employeur. Donc, déjà, le copyright, ce sera l’employeur et pas toi. Toi, tu peux apparaitre comme auteur, tu as la reconnaissance de ta paternité, c’est tout, ça ne donne pas plus de droits.

Et par contre, il y a des cas, parce qu’en fait… que traite l’OSPO ? en termes de contributions, il traite des demandes ponctuelles, des contributions ponctuelles. Tiens, on a développé une fonction pour un projet A et on veut la soumettre. Ce sera plus intéressant pour nous de la soumettre que de la garder pour nous. On a des contributions au long cours. Donc, là, la contribution ponctuelle, le code existe déjà, on connait parfaitement le contexte : « OK, on connait le code et on donne un feu vert pour ça ». Après, on a la contribution au long cours. On a des salariés qui… par exemple, on a un collaborateur qui assure le portage sur Linux de processeurs PowerPC. C’est CS qui maintient en grande partie le processeur PowerPC dans Linux. Là, ça fait des années qu’il fait ça, et à chaque fois qu’il pousse du code, il n’a pas demandé une autorisation. Donc, on examine une demande de contribution au long cours, une autorisation de contribution au long cours, et on dit, une fois qu’on a vérifié que tout était bon, « ce développeur, dans le cadre de ce projet, de ce projet chez nous, de ce contexte contractuel, a le droit de contribuer à ce projet libre ». Et si un des éléments change, on réévaluera, mais sinon, on ne change pas. Après, on a la libération. Et la quatrième chose, c’est les contributions du salarié sur son temps personnel.

De manière générale, quand c’est sur son temps personnel et avec ses moyens propres, ça ne regarde pas l’entreprise. C’est son problème et c’est son copyright. Par contre, ça peut regarder l’entreprise quand la contribution peut apparaitre comme un acte déloyal. Qu’on estime qu’elle met en œuvre des savoir-faire particuliers, entreprises. Et là, on explique aux développeurs, dans ce cas-là, si vous soupçonnez qu’il peut y avoir ce problème-là, venez voir l’OSPO et on traite. Soit au final, vous obtenez l’accord, et c’est tant mieux, tout le monde est content, mais au moins, c’est sécurisé. Soit on vous dit non, et dans ce cas-là, au moins, vous ne vous investissez pas pour rien, vous ne risquez pas de vous faire sanctionner ultérieurement, d’avoir un procès ou quoi que ce soit. Ou alors, si jamais vous décidez que votre projet est plus important que votre emploi chez CS, vous pouvez décider de démissionner et d’aller porter votre projet. OK, c’est votre choix. Mais en tout cas, on ne va pas se retrouver dans une situation conflictuelle a postériori, où il y aurait des perdants des deux côtés.

Sébastien Dinot


Ce cas-là s’est déjà produit. Par exemple, une collaboratrice qui était payée pour contribuer à QGIS sur son temps pro, nous a dit, « moi, j’aimerais contribuer sur d’autres sujets ». On lui a dit, « non, ça ne nous intéresse pas ». Elle a dit, « OK, je vais faire sur mon temps perso ». « Ah, OK, d’accord, on va traiter ça au niveau de l’OSPO ». Et on a défini avec elle, on lui a dit, « OK, alors ce périmètre-là, c’est sur ton temps pro et c’est copyright CS. Ce périmètre-là, c’est sur ton temps perso avec tes moyens propres, et c’est du copyright toi ». On traite ça.

Raphaël : C’est important à préciser.

Parce que moi, j’ai déjà croisé, dans certains contextes, des responsables IP qui disaient aux développeurs : « même si tu codes chez toi le soir avec tes propres moyens, il n’y a aucun moyen que tu fasses un reset et que tu oublies tout ce que tu as appris dans l’entreprise. Donc, je considère que ce que tu fais… ». Tu vois, en faisant du FUD (NDLR : peur, incertitude, doute), tu vois, un petit peu comme ça. Et donc là, c’est là où il faut accompagner les pauvres développeurs qui, du coup, ne savent plus quoi faire. Ils disent, ouh, là là, je vais avoir des problèmes.

Raphaël Semeteys


Sébastien : Exactement, tu as raison. Mais c’est sûr qu’il y a des entreprises, elles jouent le FUD, elles jouent la menace. Mais non, la loi ne dit pas ça. La loi est explicite à ce niveau-là.

Walid : Il y a une dernière chose dont on n’a pas parlé, mais parce que c’est assez périphérique à ça, et je renverrai les gens vers une conférence très intéressante qui a été donnée par… au Capitole du Libre, cette année, par une collègue à toi sur la fusion, ta collègue Alice…

Sébastien : Ah oui, Alice !

Walid : De chez toi et Emmanuel du CNES sur la fusion de deux communautés, qui était super intéressante sur tous ces problèmes juridiques et tout ça, etc. (NDLR : La fédération d’outils open source : enjeux, méthodes et problématiques).

Sébastien : Elle a eu à gérer les aspects techniques, juridiques et sociaux, justement. Les aspects humains, avec la gouvernance et tout ça.

Walid : Les fusions de deux projets qui n’ont pas les mêmes licences, qui n’ont pas les mêmes gouvernances et tout. C’était assez intéressant. On mettra aussi le lien dedans. C’était assez intéressant.

Les retombées économiques pour CS Group des contributions aux logiciels libres


Walid : On a déjà commencé à parler des contributions de CS. Mais je sais parce que nous, on en a déjà parlé avant. Et j’aimerais bien que tu en parles un peu. C’est OK, vous faites les choses correctement. Vous essayez de vous comporter bien dans vos contributions. Mais quelle est la contrepartie, en fait ? C’est-à-dire quel avantage ça vous donne par rapport aux autres, de faire ça ?

Sébastien : Je vais prendre le projet Orekit, par exemple. Alors, là, c’est plus qu’une contribution, c’est une libération. Donc, un projet de mécanique spatiale qu’on a libéré en 2008, dont on a ouvert la gouvernance en 2011. Aujourd’hui, il y a un comité de pilotage avec 17 personnes représentant 13 entités différentes. On a des committers externes, des release managers externes. Aujourd’hui, ça ne surprend plus personne à CS de voir une release officielle d’Orekit, un produit issu de CS, déroulé par quelqu’un travaillant pour l’US Navy ou pour Airbus Defence and Space. Ce projet, qui est vraiment le libre dans sa plus noble expression, objectivement, en 2025, il nous coute encore beaucoup plus cher à développer que ce qu’il nous rapporte de manière directe, parce qu’on a quelques demandes de prestations pour du développement spécifique, pour de l’intégration, pour des études. C’est très loin de couvrir le cout d’investissement. Donc, si on ne regardait que le retour sur investissement direct, ce ne serait absolument pas intéressant pour nous de faire Orekit. Mais il se trouve que nous avons une capacité à mesurer le retour sur investissement indirect. Et quel est ce retour sur investissement indirect ? Déjà, nous avons fait Orekit parce que nous voulions notre autonomie dans ce domaine-là. Nous l’avons, et avec une brique qui est devenue…

Walid : Nous, c’est quoi ? c’est CS ?

Sébastien : CS voulait son indépendance.

Au départ, on a fait Orekit parce qu’on s’est dit qu’on veut avoir notre propre outil en mécanique spatiale. Pour ne plus avoir à dépendre de tiers. Et donc, déjà, non seulement aujourd’hui, on a cette brique, mais en plus, c’est l’une des briques qui fait référence. Airbus Defence and Space, dans tous ses centres de mécanique spatiale, maintenant, intègre Orekit. Et les calculs de trajectoire sont faits par Orekit. Et ce n’est loin d’être le seul industriel. Il y a bien d’autres agences industrielles, laboratoires de recherche qui font ça. Via cette reconnaissance, on a obtenu une notoriété. Et cette notoriété a contribué à la conquête de nouveaux marchés.

Sébastien Dinot


Je parlais d’Airbus Defence and Space. Par exemple, nous étions absents de chez Airbus Defence and Space. Ils ont découvert Orekit. Ils se sont dit, « waouh, c’est génial ». Ils ont vu ce qu’on faisait dans le libre, par ailleurs. Ils ont vu nos compétences, notre capacité à faire de l’audit, de code et tout. Et ils ont jugé que nous étions un partenaire intéressant. Et donc, ils nous ont pris comme contractants de premier niveau. Et nous avons aujourd’hui, c’est pour nous un client important. Et nous avons d’excellents rapports avec lui. Pareil, l’Agence spatiale européenne (ESA), nous a pris comme contractants de premier niveau. Et comme elle a éjecté au passage deux autres contractants historiques, elle a été sommée de se justifier.

Walid : Tu peux expliquer ce que ça veut dire pour les gens qui ne savent pas, contractant de premier niveau ?

Sébastien : En fait, nous sommes habilités à répondre directement aux appels d’offres de l’ESA et pas à passer par un tiers pour nous représenter. L’ESA, donc, nous a choisis. Elle a dû s’expliquer. Parce que sur les quatre sous-traitants qu’elle a retenus, elle nous a mis la deuxième note. Et donc, elle a dit, tout simplement, et c’est dans une conférence publique, il y en a une qui peut se retrouver, elle a dit, on a pris CS, grosso modo, ils ont dit, on a pris CS parce qu’ils ont fait Orekit. Clairement, Orekit, c’est génial. Donc, ils connaissent la mécanique spatiale. On a pu voir le code, super bien conçu, super bien codé, donc, au niveau informatique, ils maitrisent. En plus, c’est une licence libre, permissive. C’est tout à fait ce qu’on apprécie. Donc, c’est complètement compatible avec notre politique industrielle. Ça nous va très bien. Et ils ont mis Orekit en avant pour expliquer pourquoi ils nous avaient pris et pourquoi ils nous avaient mis une aussi bonne note. Et depuis, l’ESA nous passe énormément de contrats. Ça fait des années que nous sommes sous-traitants pour eux. Et la plupart de ces contrats n’ont absolument aucun lien avec Orekit. C’est dans d’autres domaines. Alors, il se peut qu’il y ait des études sur Orekit, qu’il y ait des intégrations Orekit, mais c’est anecdotique par rapport à tout un tas d’autres contrats que nous avons avec eux, EUMETSAT, pareil. Je peux vous en prendre plein. Et donc, des gens vis-à-vis desquels Orekit a joué, et notre politique dans l’Open source, parce qu’il n’y a pas qu’Orekit, il y a toute notre maturité, tout notre savoir-faire, toutes nos compétences, ont joué le rôle du pied à la porte. On rentre grâce à ça, on est reconnu grâce à ça, et après, on nous prend comme sous-traitants et nous réalisons tout un tas de prestations pour ces clients-là. Et en quelques années, la division espace de CS, qui est la plus motrice sur cette gouvernance Open Source, celle qui publie plus de choses en libre, qui contribue plus à des projets de tiers, eh bien, ses effectifs, alors pas que grâce à l’Open Source, ce serait prétentieux, mais parce qu’il y a aussi des effectifs évidemment très qualifiés, très pointus. Mais au final, ses effectifs, en quelques années, sont passés de 200 à 800 personnes.

Nous sommes passés d’une stature française à une stature européenne. La NASA nous connait, elle nous a déjà invités à des colloques, l’US Navy contribue de manière importante au projet Orekit. On a des contributions qui sont venues de l’US Navy, qui ont fait tomber en pâmoison Airbus Defence and Space et CS (NDLR : Sébastien fait référence au travail sur le multi-threading). On était heureux. Là encore, récemment, on a un laboratoire de recherche important aux États-Unis qui a contribué. Et donc, on a une aura internationale grâce à ça. Et ça nous rapporte des marchés. Et si on réfléchit aux campagnes marketing qu’il aurait fallu faire pour avoir ce niveau de renommée et espérer être recruté par ces grands comptes comme sous-traitants, les budgets seraient sans comparaison. Ce serait bien plus important.

Walid : En fait,

le truc le plus important là-dedans, c’est le temps long, finalement. C’est-à-dire que tu n’as pas de campagne marketing, mais tu as le temps devant toi. Ce qui fait que, comme tu fais les choses bien avec le temps, mais ça veut dire aussi qu’il ne faut pas chercher une retombée à court terme.

Walid Nouh


Sébastien : Exactement. Disons que ça, c’est une force des ESN par rapport à des éditeurs.

Un éditeur, il vend son produit. Et donc, sa stratégie, qu’elle soit libre ou propriétaire, elle est forcément axée autour de ce produit. Et lorsqu’il choisit le libre, il doit trouver un modèle économique qui est viable sur ce produit-là. Une ESN peut tout à fait jouer cette carte-là. Alors, CS une ESN particulière, c’est rare finalement sur les ESN qui publient leurs propres outils. Mais nous, nous avons des gens très compétents sur les domaines métiers, et donc nous développons des outils pour nos propres besoins. C’est pour ça que nous avons fait des outils comme Orekit. Et donc, on a cette capacité de proposer des prestations sur d’autres domaines. Donc, le fait qu’Orekit soit le pied dans la porte, soit le levier, la marche d’accès à de nouveaux clients, et qu’après on nous commande des prestations sur autre chose, ne nous pose aucun problème. Tant qu’au final, nous nous y retrouvons et que nous gagnons en renommée, que nous gagnons en marché, tout le monde est satisfait.

Sébastien Dinot


Raphaël : Moi, je complèterais par rapport à ce que tu dis, Walid, sur le temps long. En fait, c’est la confiance. C’est-à-dire que la confiance, ça met du temps à se construire. Mais par contre, une fois que c’est là, c’est quelque chose sur lequel tu peux vraiment compter. Parce que les gens, avec le temps, justement, ils ont pris confiance dans ça. Et je pense que contribuer et faire de la gouvernance ouverte sur ce genre de choses-là, en étant un acteur comme une ESN et en fournissant des solutions de ce type-là, ça donne confiance.

Sébastien : Alors, pour compléter, pour aller dans ton sens, Raphaël, une chose que je peux dire, parce que pareil, Airbus Defence and Space a donné une conférence sur le sujet (NDLR : voir diapo 10 à 14). Ils ont donné une conférence un jour où ils ont expliqué ce qu’ils faisaient d’Orekit et tout le bien qu’ils en pensaient. Et ils ont dit ce jour-là qu’entre le moment où ils ont découvert Orekit et le moment où ils ont décidé d’afficher leur choix, de dire, nous, on utilise Orekit et on va s’impliquer dans la communauté, il y a eu quatre ans. Ils l’ont mis en observation pendant quatre ans. Ils l’ont fait tourner, ils ont regardé ce que ça donnait sur les calculs, etc. Et ils ont fait des benchmarks avec d’autres outils, parce que pour eux, c’est névralgique, la brique de la mécanique spatiale. Et donc, pendant quatre ans, ils ont évalué le produit. Et au bout de quatre ans, ils se sont dit, mais non seulement le produit est bon, non seulement il est performant, mais en plus, la communauté fonctionne super bien. Il y a un niveau de support parce qu’évidemment, ils ont rencontré des problèmes, donc, de manière plus ou moins anonyme, ils avaient posé des questions et des trucs comme ça. Et ils ont dit qu’il y a un niveau de support qu’on n’a pas, même avec les prestations payantes chez d’autres éditeurs. Et du coup, ils ont fait ce que j’appelle leur coming-out. On utilise Orekit et on va s’impliquer dans la communauté.

Walid : Quatre ans, à l’échelle d’un jeune éditeur qui fait son produit, quatre ans, il peut être mort, tu vois.

Sébastien : Tout à fait.

Walid : Quand tu choisis un produit d’une startup, qui a levé plein de thunes pour essayer d’être le meilleur et de montrer et de faire du marketing et dire qu’il est meilleur, ça se trouve, dans trois ans, son produit n’est plus là. C’est pour ça que je parlais vraiment de temps long.

Sébastien : Je vais te dire que nous, je pense que si on avait pensé à un moment ou à un autre, qu’on récupèrerait des fruits de nos efforts quatre ou cinq ans plus tard, les gens auraient dit « non, mais je ne vais pas investir pendant cinq ans pour un retour hypothétique dans cinq ans. » Mais notre objectif premier, c’était d’être autonomes. On a fait Orekit parce que nous voulions être autonomes sur notre marché, pour pouvoir conquérir d’autres marchés. Le moteur initial était d’ordre commercial, stratégique.

Raphaël : Après, le temps dans l’aéronautique, l’aérospatial, ce n’est quand même pas le même que dans les startups.

Walid : C’est clair.

Raphaël : Même chez Elon Musk, parce que…

Walid : Quand on te demande de faire du support sur 30 ans ou sur 20 ans sur ton logiciel, ce n’est plus la même chose.

Sébastien : Ceci étant, je pense que les choses sont en train de changer avec ce qu’on appelle le New space. On a des startups qui ont une visibilité à 6 mois, 1 an, 2 ans.

Walid : On a pas mal balayé les différents sujets. On aurait pu certainement rentrer beaucoup plus en détail dans certains sujets, mais là, c’est plutôt pas mal. Je ne sais pas si Raphaël, tu as encore d’autres questions autour de ça ou pas toi ?

Bonnes pratiques autour du contrôles des dépendances logicielles dans les projets chez CS Group


Raphaël : Moi, j’ai une question, mais bon… je ne sais pas, parce que je vais peut-être ouvrir une boite là, quelques minutes de la fin. C’est concernant les bonnes pratiques en termes d’utilisation. Donc, là, on n’est même pas sur de la contribution ou de la libération, mais juste des développeurs ou des architectes qui sélectionnent des composants, des librairies, qui tirent des dépendances dans des projets qui sont des projets internes pour des produits ou pour des clients. Donc, là, j’imagine que dans votre constitution, policy, je ne sais pas comment l’appeler, il y a des règles aussi là-dessus, mais est-ce que ça c’est suffisant, ou vous avez eu besoin de mettre en place aussi des outils pour contrôler en fait ce qui passe au niveau des dépenses notamment ?

Sébastien : Le contrôle, on le met en place progressivement. On utilise des outils dans le cadre… alors soit je fais des audits parce qu’on me demande de faire un audit, avant une libération ou avant une livraison, souvent un peu tard, on me demande de faire un audit, et donc j’explique éventuellement ce qui ne va pas dans le projet, ce qu’il faut casser et refaire, ou je dis « c’est bon, vous pouvez libérer, c’est nickel ». Après, il y a des outils qui aident à faire ces audits, qui sont généralement propriétaires, mais qui coutent un bras, pour le dire clairement, donc qu’on met rarement en œuvre. Et après, il y a des outils plus basiques qui vont juste être capables de générer ce qu’on appelle un SBOM, donc un Software Bill of Materials. Donc, grosso modo, c’est : « voilà le logiciel et la liste des composants que j’ai trouvés à l’intérieur ». Le seul problème, c’est que ces outils-là, ils s’appuient sur des systèmes de package, de dépendance, d’inclusion, etc. Donc, ils vont trouver les composants qui sont utilisés en tant que tels. Par contre, ils ne vont pas être capables d’identifier les 500 lignes copiées-collées dans ton projet qui viennent de tel projet sous licence GPL. Et ça, c’est un problème potentiellement. Donc, effectivement, quand on nous demande, nous réalisons des audits, dans le cadre de la sécurisation de la chaine d’approvisionnement, nous sommes en train de mettre en place aussi des outils qui visent à la sécurisation juridique, mais aussi à la sécurisation vis-à-vis des failles de sécurité, la gestion de vie, le cycle de vie et l’obsolescence. C’est la lutte contre l’obsolescence logicielle. Veiller à avoir des composants qui ne sont pas trop vieux. Et après, en termes de règles, on n’est pas parfait. On n’a pas des règles absolues. Par contre, régulièrement, on me demande conseil sur une brique. Par exemple, on n’a pas de règles monolithiques du style « c’est la GNU GPL, vous ne l’utilisez pas, c’est non ». C’est : que fais-tu de ce composant ? Dans quel contexte ? Et je te dirai si tu peux l’utiliser ou pas. Et après, dans les sélections, on a des règles, des bonnes pratiques. Eh bien, je dis toujours : ne regardez pas que le code. Regardez s’il y a le bug tracker. Est-ce qu’il y a des bugs qui sont signalés ? Est-ce qu’ils sont corrigés vite ? Est-ce que vous détectez une communauté vivante de contributeurs et d’utilisateurs ? Ou est-ce qu’il y a une seule personne ? Voilà. C’est le genre…

Walid : Pardon, non, c’est juste pour dire, vous ne voyez pas, vous ne pouvez pas voir la tête de Raphaël avec son grand sourire parce que c’est son sujet de prédilection, c’est pour ça. Désolé.

Sébastien : Voilà, d’accord, très bien. Mais voilà, en fait, je demande aux gens, enfin, je vais vérifier pour eux tout un tas de paramètres. Alors, il y a la plateforme Open Hub, je ne sais pas si vous la connaissez. C’est une plateforme crowdsourcée. Et si votre logiciel que vous utilisez n’est pas présent, vous pouvez le déclarer et vous revenez le lendemain. Généralement, il a fait l’analyse. Et il va vous dire, voilà, ce projet-là, en moyenne, il y a 5 contributeurs par mois, 30 commits. Il existe depuis 5 ans, il a une vitalité croissante. Et donc, vous dites : c’est un bon cheval. Et à contrario, quand vous voyez que votre projet, il est mort, il n’y a pas eu de seule contribution depuis 5 ans, vous dites : alerte. OK, il a l’air super, génial, mais il n’y a plus personne qui bosse dessus depuis 5 ans. Non, stop.

Les OSPOs et la formation


Raphaël : OK, bon, après, c’est ma dernière question. Après, je m’arrête, promis. Du coup, oui, ce que je comprends, c’est-à-dire au niveau des projets, ils ont quand même leur stratégie, même technique, ils choisissent leur composant, etc. Et après, quand ils ont certaines questions ou qu’il y a un audit, là, ils vont aller regarder dans le détail. La question que j’ai, c’est est-ce que c’est de l’ordre des prérogatives ou des choses que un OSPO peut faire, de manière générale, chez vous ou peut-être dans d’autres contextes, de faire de la vulgarisation, de la formation, d’expliquer, en fait, des choses, parce que c’est un…

Sébastien : Ah, j’ai complètement oublié d’en parler de tout ça. Tu as raison, c’est pas « on peut », c’est « on doit ». À CS, on a mis en place un programme de sensibilisation aux droits d’auteur et aux logiciels libres. Et alors, pour la petite histoire, pour être totalement transparent, ce programme, on l’a mis en place, essentiellement au départ, au niveau de la BU Espace, de la division Espace, parce que c’est elle qui contribue le plus, qui libère le plus de choses, etc. Et donc, on a expliqué aux gens ce que c’est le droit d’auteur, et après, comment fonctionnent les licences, quel est le support que vous pouvez avoir en interne, c’est demi-journée de formation, et on a formé beaucoup de gens. Et on a vu disparaitre tout un tas de mauvaises pratiques et d’erreurs que je trouvais régulièrement dans les projets. Et il est arrivé des moments où des gens formés, je me souviens une fois, une développeuse est venue me voir, et « eh Sébastien, tiens, je crois qu’on a fait une connerie dans le projet, tu peux venir voir ? » Ah oui, et effectivement, quelqu’un qui n’avait pas suivi la formation avait fait une bêtise, il a fallu que je récupère le coup derrière. Bon, ben voilà, et j’ai réussi à le récupérer, tant mieux, voilà, il a fallu traiter. Donc il a montré un véritable intérêt, en fait. C’était vraiment un succès. Et puis, entre accroissement des effectifs de 200 à 800, renouvèlement des effectifs, à CS comme partout ailleurs, il y a du turnover, et changement de priorité, on a un moment mis en pause ce programme. Et là, assez vite, au bout d’un an, deux ans, j’ai vu réapparaitre des problèmes qui avaient complètement disparu. À tel point qu’aujourd’hui, il y a des responsables de département qui me demandent à ce qu’on le remette en place. Là, j’ai discuté récemment avec un responsable de département qui m’a dit « je veux qu’on mette ça en place pour toutes mes équipes. » Parce qu’il a connu l’époque où il y avait ce programme, il l’avait vu. Aujourd’hui, quand il voit les erreurs qui sont faites et qui sont rattrapées par l’OSPO, par les analyses, il dit « je ne veux plus que ça arrive ».

Walid : C’est quoi, comme type d’erreur ? tu peux donner un exemple pour qu’on s’imagine ?

Sébastien : C’est typiquement l’inclusion d’un composant sous GPL que tu veux libérer sous licence Apache, par exemple. Ça va être des copyrights qui ne sont pas appropriés, des informations qui ne sont pas fournies, des choses qui ne devraient pas être faites, qui devraient être maitrisées, qui ne sont pas maitrisées.

Raphaël : Ce que je me dis aussi, c’est ce que je vois à mon niveau, c’est qu’il y a de la vulgarisation à faire auprès des développeurs, ceux qui vont faire, utiliser, etc. mais aussi au niveau de leur manager.

Sébastien : Tout à fait. Et je n’ai pas le même discours, évidemment, quand je m’adresse à des développeurs ou à des managers. Tout comme il y a des fois, en fait, le programme de sensibilisation, on m’a déjà demandé de le donner dans d’autres entreprises pour créer une culture interne. Et là, il y a des entreprises où ça va être des effectifs techniques que j’ai en face de moi. Et il m’est arrivé aussi d’avoir la direction, toute la direction d’entreprise. D’une entreprise qui voulait comprendre ce que c’est ce logiciel libre et comment elle pouvait intégrer ça dans sa stratégie. Et là, je ne reparle pas de Git. C’est clair.

Mots de la fin


Walid : On va s’arrêter là parce qu’on a déjà bien parlé et c’était super intéressant. Avant qu’on s’arrête, je voudrais te proposer de faire un mot de la fin. Mais avant de faire un mot de la fin, je voudrais que Raphaël fasse un mot de la fin, lui-même. Est-ce que tu retiens quelque chose de tout cet échange d’abord Raphaël ?

Raphaël : Oui, je suis très content de cet échange-là. C’est hyper intéressant d’avoir un retour clair et bien organisé, bien structuré, comme Sébastien peut le faire, et avec une expérience en plus de plusieurs décennies sur comment mettre en place tout ça et comment ça a évolué. Donc ça, je trouve que c’est fondamental. Et c’est pour ça que ma dernière question, elle était orientée. Mais je pense qu’il reste, et c’est pour ça qu’un podcast comme le tien, Walid, il est fondamental pour ça, je pense aussi.

Il faut continuer à vulgariser et à expliquer, en fait. Moi, je le vois avec les nouveaux, les jeunes qui arrivent, etc. Des fois, on part de loin. Pour eux, GitHub, open source, je prends le code, je ne me pose aucune question, absolument aucune. Et c’est dommage parce que c’est riche, en fait. Il y a vraiment des choses à apprendre. Et on l’a vu, on a parlé des aspects humains, des contrats sociaux et tout. Il y a vraiment des choses à apprendre, même au niveau personnel.

Raphaël Semeteys


Et c’est dommage de… Donc, rien que pour ça, je suis content ; c’est mon mot à moi. Pardon.

Walid : Sébastien, ton mot de la fin ?

Sébastien : Mon mot à moi, c’est que le logiciel, ce n’est pas qu’un objet technique, c’est un objet dual, c’est donc technique et juridique. Quand on l’utilise, quand on le manipule, ça a des conséquences techniques, mais aussi juridiques. Et au-delà de ça, c’est un objet qui est fait par des humains. Et donc, il y a des considérations sociales, des facteurs humains à prendre en compte qu’il ne faut pas négliger parce qu’ils sont primordiaux.

On ne mesure pas le succès de votre logiciel à la qualité de son code, même si la qualité de ce code fait qu’on va l’adopter ou pas, ça contribue à son adoption. Au final, on mesure le succès de votre logiciel à sa communauté d’utilisateurs et de contributeurs. Et donc, si vous lancez dans ce genre d’aventure, vous devez faire en sorte d’avoir une communauté qui fonctionne bien, qui se développe bien. Ça nécessite de réfléchir à la gouvernance.

Sébastien Dinot


Walid : Mon mot de la fin à moi, c’est que, étant moi-même en train d’essayer, au jour d’aujourd’hui, c’est-à-dire le 19 mars, d’essayer de créer une petite équipe pour travailler autour du podcast, se posent ces questions de règles, d’outils, de collaboration, tout ça, etc., un peu de gouvernance, même si c’est pas en modèle réduit, mais c’est un peu pareil. Donc, c’est assez intéressant de faire ça maintenant. Et moi, je suis super content parce que ça fait déjà pas mal de temps qu’on discute ensemble, Sébastien, de ces sujets-là, quand on se croise sur les différents salons, et que je t’avais dit que ça valait vraiment la peine de faire un épisode.

On a terminé, ça fait 1h30 qu’on enregistre. Merci aux auditrices et aux auditeurs qui ont tenu jusque-là. On espère que vous avez appris des choses. N’hésitez pas à faire vos retours à travers nos réseaux sociaux habituels, en particulier Mastodon, qui est un réseau décentralisé et qui est tout à fait approprié par les temps qui courent. Et puis, à une prochaine pour d’autres épisodes. Comme vous avez pu le voir, le rythme de publication s’est un peu réduit, puisqu’on est repassé plutôt à un rythme de un mois ces temps-ci. Écoute Sébastien, au plaisir de te revoir une prochaine fois. Raphaël, à bientôt. Portez-vous bien tous les deux.

Sébastien : Merci à vous deux. C’était très intéressant de discuter avec vous. Merci pour l’invitation.

Raphaël : Merci.

Walid : À bientôt.

Production de l’épisode


  • Enregistrement à distance le 19 mars 2025
  • Trame : Raphaël Semeteys & Walid Nouh
  • Transcription : Walid Nouh, Sébastien Dinot (relectures et corrections)
  • Pour aller plus loin : Sébastien Dinot & Walid Nouh


Pour aller plus loin


Les interventions ou écrits de Sébastien :

Recommandé et commentaires par Sébastien pour en savoir plus :

  • Open Source Guides
  • Organisation, gouvernances de projets Open Source (Inno3)
  • Do-ocratie
  • Orekit sur Openhub : Pour info, la méthode COCOMO est connue pour surévaluer nettement (on annonce souvent un facteur 3) le cout de développement d’un projet utilisant un langage moderne. C’est le cas avec Orekit. OpenHub annonce 192 années d’effort. CS estime son effort sur Orekit à 44  annnées, auxquelles il faut ajouter quelques années, peut-être 10, pour l’ensemble des autres contributeurs.

Exemple significatif de contribution sur Orekit :

orekit.org/doc/orekit-day/2019… Cf. planches 10 à 14, notamment la planche 13. 🙂

Pour la petite histoire, sur la planche 14, Airbus Defence and Space (ADS) signale quelques améliorations potentielles d’Orekit : « Not designed for multi-threading with heterogeneous data contexts »

Le Naval Research Laboratory (NRL) de l’US Navy ayant fait le même constat, un chercheur du NRL (Evan Ward) a corrigé ce fameux problème de « data context » quelques mois après. Cf. cet échange sur le forum : forum.orekit.org/t/data-contex…

En résumé :

* 18 septembre : Evan Ward (NRL) annonce son intention et demande si son design convient à tout le monde.

* Super accueil de CS, d’ADS (« Yannick » est alors le responsable du service de mécanique spatiale d’ADS) et d’autres. Mais Yannick explique qu’il a un cas d’utilisation qui n’est pas satisfait par la proposition d’Evan. Evan revoit sa copie, lui et Yannick discutent, Evan ouvre une issue pour marquer le terrain, puis plus de nouvelles.

* 15 novembre : 2 mois sont passés. Evan annonce qu’il a bien progressé et explique une difficulté qu’il rencontre. Nouvel échange entre le NRL, ADS et, un peu CS (Luc).

* 3 décembre : Evan annonce qu’il a terminé et vient de pousser une MR (NDLR merge request). Tout le monde est enthousiaste.

Evan a fait un travail formidable sur ce coup et il a résolu un problème de conception qui ennuyait tout le monde. ADS et CS n’ont rien fait si ce n’est faire part de leurs doléances et l’encourager, mais ils sont les premiers bénéficiaires de cette grande avancée. L’autre problème résiduel (le multithreading) sera résolu dans Orekit 12.

Recommandé par Projets Libres! :


Licence


Ce podcast est publié sous la licence CC BY-SA 4.0 ou ultérieur


Introduction aux modèles économiques et gouvernances des logiciels libres – G. Le Bouder, R.Semeteys

projets-libres.org/introductio…


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[Associations] Présenter l’April, épisode 1 : les grands combats


Depuis 1996, l’April défend et promeut les logiciels libres. Acteur incontournable en France, elle a participé à de nombreux combats. Elle a aussi su évoluer pour répondre aux enjeux actuels. Dans ce premier épisode, nous abordons la naissance et les gra

podcast.projets-libres.org/@pr…

Sommaire

L’histoire de l’April, épisode 1


Bienvenue à toutes et à tous pour ce nouvel épisode de Projets Libres !.
Aujourd’hui, nous allons commencer une série de plusieurs épisodes pour raconter et parler des actions d’une association dont vous avez certainement entendu parler, cette association c’est l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Si vous avez côtoyé le Libre d’une manière ou d’une autre, il est fort probable que vous ayez déjà entendu parler de cet acronyme. On va donc en savoir un peu plus avec nos deux invités du jour, dans ce premier épisode, sur les grands combats de l’April, assez rapidement sur son histoire. On reviendra un peu plus en détail sur certains épisodes et sur ce qu’est l’April maintenant dans les épisodes futurs.
Pour ce premier épisode, je suis vraiment très heureux d’avoir avec moi Jeanne Tadeusz. La deuxième personne c’est Frédéric Couchet.
Jeanne et Frédéric, bienvenue sur le podcast Projets Libres !, ravi de vous avoir avec moi aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Merci Walid pour l’invitation.

Jeanne Tadeusz : Merci Walid, ravie d’être là, avec vous, et d’échanger sur le Libre. Retour un peu aux sources pour ma part.

Présentation de Jeanne


Walid Nouh : Justement, retour aux sources pour ta part, je vais commencer par toi, Jeanne. Est-ce que, dans un premier temps, tu pourrais nous expliquer qui tu es et ton parcours, s’il te plaît ?

Jeanne Tadeusz : Jeanne Tadeusz. Je suis ici parce que j’ai travaillé à l’April entre 2010 et 2016 en tant que responsable des affaires publiques.
Pour résumer mon parcours, j’ai été diplômée en 2009 en droit et science politique.Je suis partie travailler aux États-Unis, à San Francisco, à ce moment-là sur la question des droits de l’homme. Être en Californie m’a aidée, finalement, à prendre conscience de l’importance de toutes les questions on va dire numériques, même si ce mot a évidemment des limites, de tout ce qui était libertés fondamentales. À mon retour en France, j’ai appris que l’April recrutait et c’était finalement un moyen de continuer mon travail, mon engagement sur les questions droits de l’homme et libertés fondamentales sur une problématique qui, à l’époque, était encore assez nouvelle et assez peu vue, en tout cas par les milieux militants dans lesquels j’étais.

Walid Nouh : Tu as découvert l’April pendant que tu étais aux États-Unis ou en rentrant en France ?

Jeanne Tadeusz : En rentrant en France. Pour être exacte, j’ai découvert le logiciel libre aux États-Unis. J’ai commencé à comprendre tous les enjeux qu’il y avait autour du logiciel libre mais aussi de la neutralité d’Internet, etc., aux États-Unis et, en rentrant en France, finalement un peu par un concours de circonstances : l’April recrutait, ça correspondait à mes envies, à mon engagement personnel et c’est comme cela que j’ai rencontré l’April et qu’on a fait un bout de chemin ensemble.

Walid Nouh : Avant que je donne la parole à Fred, est-ce que tu peux, s’il te plaît, expliquer, pour les personnes qui sauraient pas, ce que sont les affaires publiques ?

Jeanne Tadeusz : Les affaires publiques, c’est tout ce qui est le lien entre la personne pour laquelle on travaille et les élus au sens général, donc à la fois le gouvernement, ça peut être aussi les collectivités locales, ça peut être le Parlement. Être responsable des affaires publiques c’est finalement aller porter la bonne parole, en l’occurrence celle de l’April, auprès de ces personnes, pour leur expliquer quels sont les enjeux, pour l’April, des différentes lois qu’elles sont en train de voter ou des textes qu’elles sont en train d’envisager de prendre, au contraire celles qu’elles ne prennent pas. Être un décideur aujourd’hui, c’est travailler sur énormément de sujets, on ne peut pas tout connaître. Être responsable des affaires publiques c’est faire un peu ce pont entre des problématiques qui nous intéressent, sur lesquelles on s’engage personnellement, en l’occurrence le logiciel libre, et ces décideurs.

Walid Nouh : Question subsidiaire : est-ce que, pour toi, c’était une suite logique ou est-ce que c’était un gros défi par rapport à ce que tu avais fait avant ?

Jeanne Tadeusz : C’était un gros défi. Jusque-là j’avais travaillé dans des institutions, d’ailleurs je suis retournée dans une institution ensuite, avec beaucoup plus de personnes, plus organisées, plus structurées. À l’April, c’était autre chose parce que association, petite structure, étant la seule anglophone par ailleurs ça a été tout de suite de beaux défis à l’époque. À l’époque, Fred.

Présentation de Frédéric


Walid Nouh : Fred je vais t’appeler Fred pour le reste de l’interview parce qu’on t’appelle tout le temps Fred.
Fred, avant tu te présentes, je voudrais que tu expliques pourquoi tu as hésité à faire cette entrevue. Il faut dire à notre audience que tu as hésité, qu’on en a assez longuement parlé, est-ce que tu pourrais revenir là-dessus, s’il te plaît, pour expliquer un peu ta position ?

Frédéric Couchet : Je vais te répondre déjà en me présentant très rapidement, en disant que je suis l’un des cofondateurs de l’April en 1996, on va revenir tout à l’heure sur l’historique, et je suis actuellement son délégué général depuis 2005, donc, si vous calculez bien, ça fait 29~ans et 20~ans. J’étais le porte-parole principal et, il y a quelques années, j’ai pris la décision de ne plus intervenir personnellement lors de manifestations publiques ou d’interviews au profit d’autres personnes, pour permettre à d’autres personnes d’intervenir. Même si sur l’aspect affaires publiques Jeanne et Étienne, qui aujourd’hui a pris sa succession, intervenaient, sur plein de conférences, plein d’interviews, c’était moi qui m’y collais. Et cela pour permettre tout simplement à d’autres personnes de pouvoir intervenir, monter en compétences et augmenter la diversité des personnes intervenantes pour l’April. C’est le premier point.
Le deuxième point c’est que, comme tu fais plusieurs épisodes, que celui-ci est consacré un peu à l’historique, on a une divergence de point de vue là-dessus, Walid. Je pense que l’historique intéresse surtout quelques personnes friandes d’anecdotes et que ce qui motive les gens à rejoindre une structure ou ce qui va les mobiliser, c’est plutôt ce qui se passe aujourd’hui et l’April d’aujourd’hui n’est pas l’April d’il y a 20~ans ou 25~ans. Ceci dit, il y aura d’autres épisodes dans lesquels l’April d’aujourd’hui va intervenir, ma collègue Isabella, la présidente Bookynette, Étienne, voilà pourquoi j’ai hésité. En plus, mon rôle devient de plus en plus secondaire dans cette évolution et c’est très bien ainsi. Voilà pourquoi j’ai hésité, mais, finalement, j’ai quand même accepté parce que je suis évidemment celui qui connaît le mieux l’historique de l’April.

Walid Nouh : Je vais te demander de te présenter et de nous dire aussi en quoi ça consiste d’être délégué général de l’April ?

Frédéric Couchet : J’ai fait des études d’informatique à Paris 8, donc à Saint-Denis. C’est là que j’ai découvert le logiciel libre, dans les années 90, donc il y a longtemps. Là-bas, dans le centre d’informatique, le principe c’était « vous êtes là pour apprendre, donc vous avez accès au code source de nombreux logiciels qui sont utilisés, vous avez accès à Internet sur lequel vous pouvez récupérer des logiciels libres », c’est là que j’ai découvert cette notion de logiciel libre, on pouvait télécharger des logiciels. J’ai donc fait mes études, finalement, avec beaucoup de logiciels libres. Je n’avais pas un passé d’informaticien, je ne suis pas un geek comme beaucoup de gens à 15/16~ans ou même plus tôt. J’ai trouvé génial, en tant qu’informaticien, de pouvoir accéder au code source, de voir comment ça fonctionne, de corriger. Et puis une rencontre fondamentale, aussi à Paris 8, avec un enseignant, Marc Detienne, qui passait souvent des nuits avec nous. Il faut savoir qu’à l’époque il y avait relativement peu de machines disponibles et je n’avais pas d’ordinateur à la maison, donc, avec quelques potes, nous passions nos nuits au bocal, au centre informatique de Paris 8 pour travailler sur nos projets, etc. Il y avait notamment un prof qui passait souvent et qui a commencé à nous expliquer ce qu’était le logiciel libre, le fonctionnement, etc. C’est comme ça que j’ai appris l’informatique. On y reviendra peut-être tout à l’heure sur l’historique de l’April et j’expliquerai pourquoi, à la sortie de la fac, nous avons créé cette association.
Pour répondre succinctement à ta question, c’est quoi un délégué général ? En fait, ça veut dire simplement que dans mon contrat de travail j’ai une délégation du conseil d’administration pour mener de nombreuses actions, donc, dans l’absolu, j’organise l’association au quotidien. Après, sur les actions, j’interviens sur les deux axes dont on va parler tout à l’heure : l’axe institutionnel dont a parlé Jeanne, les affaires publiques, le plaidoyer, la défense de la cause ; j’interviens aussi sur les actions de promotion dont on parlera un petit peu, mais dont on parlera sans doute beaucoup plus dans les prochains épisodes ; il m’arrive aussi, encore beaucoup, de faire de la technique, d’administration système parce que nous n’avons pas d’admin-sys payé dans l’équipe de l’April, dans l’équipe salariée, et, comme je reste quand même informaticien, j’interviens de temps en temps sur cette partie.

La création de l’April


Walid Nouh : D’accord. Merci.
Très logiquement, j’aimerais bien qu’on parle de la création de l’April. À quel besoin répond-elle ? Pourquoi l’avez-vous créée ?

Frédéric Couchet : Nous l’avons créée en 1996. Nous étions cinq étudiants à l’époque, je dis bien étudiants, cinq hommes. Nous avions passé quelques années à faire nos études ensemble, basées sur du logiciel libre, à passer des nuits ensemble, donc, à la fin de nos études, on se posait tous des questions sur ce qu’on allait faire. Nous n’avions pas la fibre entrepreneur/économique, parce qu’on aurait pu créer une entreprise autour du logiciel libre, à l’époque il y en avait très peu qui existaient, contrairement à aujourd’hui, nous n’avions pas du tout cette fibre-là. Par contre, nous avions plutôt la fibre faire connaître, fibre associative. À l’époque, il n’y avait pas réellement d’organisations qui faisaient la promotion du logiciel libre en France, aux États-Unis il y avait la Fondation pour logiciel libre qui existe depuis 85, on s’est donc dit « on va créer une association qui aura pour but de faire connaître le logiciel libre. »
Pour être tout à fait clair, on l’a créée sans feuille de route, sans savoir exactement ce qu’on allait faire précisément, on l’a la créée à cinq, mais l’idée c’était : on a appris l’informatique à base de logiciels libres, on trouve ça génial, on veut le faire connaître à la fois aux personnes qui font de l’informatique mais aussi au grand public. C’est donc pour cela qu’on l’a créé en 1996, nous étions cinq étudiants ou ex-étudiants de Paris 8, mais avec une vision quand même un peu particulière : même si nous étions informaticiens, nous avions quand même pris conscience que ce n’était pas qu’un enjeu technique ou économique, c’était un enjeu de société. Nous en avions pris conscience à la fois par nos échanges avec l’enseignant dont j’ai parlé tout à l’heure, Marc Detienne, et aussi par nos lectures du site de la Fondation pour le logiciel libre et du projet GNU, un projet fondateur du logiciel libre. Nous avions donc pris conscience que c’était quelque chose qui allait au-delà de la pure partie technique. Quand on parlera tout à l’heure des actions de Jeanne, notamment de son arrivée, le côté libertés fondamentales qu’elle avait mis, par exemple, dans sa lettre de motivation nous a parlé tout de suite.
Voilà pourquoi on a créé l’April. Après il y a eu des évolutions sur lesquelles on peut revenir.

Walid Nouh : Au départ, il n’y avait pas forcément de message politique derrière, mais il y avait déjà un message à faire passer au plus grand nombre et promouvoir un modèle de société.

Les grandes évolutions de l’APRIL


Walid Nouh : Là, tu parles du fait qu’au tout départ vous étiez bénévoles. Dans l’évolution de l’April, c’est ma question suivante, ses grandes évolutions, il y a donc eu un moment où vous êtes passé de bénévoles à certains qui sont devenus salariés. Est-ce que tu peux expliquer ces quelques évolutions très importantes de l’April ? On pourra en détailler certaines par la suite ou elles seront détaillées dans d’autres épisodes.

Frédéric Couchet : Oui tout à fait, rapidement.
Fin 1996 on crée l’association, nous sommes cinq et, comme je l’ai dit, c’est vraiment un axe promotion, on veut faire connaître et on va mener des actions.
D’abord on crée un site internet et la première chose qu’on commence à faire, tout simplement, comme on veut faire connaître le logiciel libre, on se dit qu’on va mettre en ligne des textes explicatifs sur le logiciel libre et, plutôt que de les écrire nous-mêmes, on va traduire en français les textes explicatifs du projet GNU et de la Fondation pour logiciel libre. C’est le premier groupe de travail que nous avons créé : mettre à disposition de la documentation, des explications en français.
Après, début 1998, nous avons fait un premier événement à Paris 8, une journée de présentation autour du logiciel libre, qui était ouverte au public extérieur, mais, globalement, il y avait quand même principalement des gens de la fac et quelques personnes qu’on connaissait.
Nous menions des actions, comme cela, nous avons fait quelques trucs. On commençait quand même à acquérir une petite notoriété et, en 1999, quelqu’un est venu nous voir et nous a dit : « C’est bien ce que vous faites, mais est-ce que vous savez ce qui se passe au niveau européen actuellement ? ». Nous ne suivions pas ça ! Au niveau européen, il y avait un projet de directive européenne sur la brevetabilité des logiciels, c’est-à-dire l’idée de protéger des idées et pas simplement la mise en pratique, la mise en œuvre informatique de ces idées-là. Il nous a dit que ça pourrait poser tel et tel problème pour le logiciel libre, il va falloir se mobiliser au niveau européen. On a demandé ce qu’on pouvait faire pour aider.
C’est comme cela qu’à partir de 1999 nous avons commencé à participer à une coalition visant à expliquer les dangers ce projet de directive européenne.
Après, au niveau français aussi des choses se sont produites, notamment dans les années 2000, la transposition de la directive sur le droit d’auteur qui visait à sacraliser ce qu’on appelle les DRM, c’est-à-dire les menottes numériques qui, par exemple, organisent un dispositif de contrôle d’usage sur vos outils informatiques, que ce soit les DVD, la musique, etc. Donc là, pareil, nous nous sommes mobilisés toujours en mode bénévole.
Bien sûr, on mettait tout de suite en ligne des informations pour permettre à toute personne externe à l’association de contribuer.
Par chance, j’avais des employeurs, notamment un chef de projet qui était assez sympa, qui me laissait donc pas mal de liberté sur l’organisation de mon temps. Il faut savoir que, pour la partie institutionnelle, il faut aller voir des parlementaires et c’est en journée, ce n’est pas forcément le soir, que l’étude des projets de lois ça prend du temps, etc.
Jusqu’à 2004/2005 nous avons fait cette montée en puissance, en parallèle des actions de promotion, parce quand on faisait aussi des actions de promotion, nous participions à des événements, etc., par exemple les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, des événements professionnels ou des événements grand public comme la Fête de l’Huma et, à côté, il y avait la partie institutionnelle.
À un moment, courant 2004, on s’est dit « ça devient très compliqué de tout faire en mode bénévole côté institutionnel, en plus nous ne sommes pas des « professionnels », entre guillemets, du plaidoyer », donc on s’est dit qu’il fallait réfléchir à ce qu’on pouvait faire : est-ce qu’on se contente, finalement, des actions de promotion et on oublie le côté institutionnel ou est-ce qu’on essaye de faire les deux. On s’est dit qu’il fallait se défendre donc qu’on allait essayer de faire les deux.
On a commencé à réfléchir à un mode de financement et on a dit « si on arrive à convaincre des gens de nous soutenir, peut-être qu’on pourra embaucher des personnes. » C’est donc à partir de 2004 qu’on a commencé à expliquer à des gens « devenez membre de l’April, notre modèle de financement ce sont exclusivement les cotisations et, si on le peut, on pourra embaucher. » Dans les embauches, on avait notamment l’objectif d’avoir une personne à temps plein sur les aspects institutionnels, donc la personne chargée des affaires publiques. Dans les réflexions internes, au niveau du conseil d’administration, s’est posée la question de la première personne à embaucher. Il se trouve qu’à l’époque je venais de quitter Alcôve qui était l’une des principales entreprises du logiciel libre, que j’étais entre deux choses, entre deux activités, il s’est trouvé qu’après un certain nombre de discussions, d’échanges, on s’est dit « pourquoi ne serais-tu pas le premier salarié de l’April au poste de délégué général, pour t’occuper de la partie promotion et de la partie institutionnelle, avec l’objectif de pouvoir embaucher rapidement une deuxième personne ? »
D’un point de vue dates, j’ai commencé en mars 2005 et en gros, en octobre 2006, on a eu la première personne chargée de mission affaires publiques et, en octobre 2006, on a eu aussi une deuxième personne qui aidait sur les aspects promotion. Voilà quelques dates.

Walid Nouh : Donc Jeanne, quand tu arrives, finalement il y a tout à faire.

Jeanne Tadeusz : C’était déjà commencé puisque quelqu’un est arrivé en 2006, il y a eu deux personnes avant moi sur ce poste. J’ai pris la suite de quelqu’un d’autre, donc tout n’était pas à faire et heureusement d’ailleurs, il y avait quand même déjà des bases solides et, en plus, Fred était très présent, connaissait bien, avait aussi travaillé avec la personne qui s’en occupait avant, ne serait-ce que pour tout l’aspect contact, parce que, évidemment, ce sont des postes avec énormément de relationnel, un nombre d’échanges presque personnels, quelque part. Il faut vraiment connaître les gens, connaître leurs habitudes, savoir à qui s’adresser, etc. Je suis donc arrivée sur quelque chose d’existant, mais à un moment où l’association était sur le point d’évoluer, parce qu’il y avait un aspect très militant, qui l’est d’ailleurs toujours, très tonique, dans une espèce de bataille. Quand j’y étais, il y a aussi eu une volonté, au fur et à mesure, de revenir peut-être plus sur l’aspect promotion et pas que défense du logiciel libre, peut-être parce que le contexte était différent à ce moment-là, ce qui n’empêche pas qu’on ait eu également des actions importantes de défense, évidemment. On est vraiment reparti sur ces deux jambes à la fois pour avancer.

Frédéric Couchet : Je peux peut-être préciser. Ce que dit Jeanne est très intéressant. C’est vrai que la période avant Jeanne, le premier poste affaires publiques c’était 2006, il y a eu, on peut les citer parce qu’ils ont été très importants, Christophe Espern quelque temps et ensuite Alix Cazenave. C’était une période où le Libre était attaqué, pas forcément directement, mais par les brevets logiciels, par les menottes numériques, les DRM [Digital Rights Management], par Microsoft qui parlait de cancer, etc., donc c’est vrai que c’était plutôt des actions en défense sur des sujets très larges, par exemple la directive droit d’auteur ne concernait pas que les DRM, elle concernait plein de choses, et les acteurs qui étaient en face étaient par exemple la Sacem [Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique] pour la musique, la SACD [Société des auteurs et compositeurs dramatiques] pour les auteurs, etc. Ce sont des gens avec des moyens considérables, là on peut effectivement vraiment parler de combat, en rappelant qu’à l’époque nous étions deux salariés à l’April, des bénévoles nous aidaient, mais c’était vraiment en termes de combat, on essayait de se défendre pour ne pas perdre des choses qu’on avait.
Quand Jeanne est arrivée, pour les brevets logiciels on avait déjà gagné parce qu’il y a eu le rejet de la directive en 2005, la loi sur le droit d’auteur en France a été votée, de mémoire, en avril/mai 2006, quelque chose comme ça, donc elle est arrivée à une période qui était moins de combat et, justement, ça nous permettait aussi de nous remettre sur l’aspect promotion dont on pourra parler tout à l’heure, notamment l’aspect pouvoirs publics, politiques publiques en faveur du logiciel libre, souveraineté numérique, etc. Elle est arrivée à une période où c’était moins combat et aussi avec un style différent, c’est-à-dire que dans la gestion des affaires publiques le style de la personne joue.
Comme elle le dit aussi, juste pour finir, les contacts sont importants dans les affaires publiques, c’est-à-dire que beaucoup de choses se jouent au niveau du relationnel, on aura peut-être l’occasion d’en parler tout à l’heure. Les gens ont sans doute une image très négative des responsables politiques, on a rencontré, je ne sais pas quelle expression je pourrais employer, des gens qui pensent plus à leur carrière et à leur intérêt personnel, mais on a aussi rencontré des responsables politiques qui ont le sens de l’intérêt général et c’est une chose qui était vraiment super dans nos actions de plaidoyer.

Walid Nouh : Donc Jeanne, quand tu arrives, l’April est déjà connue des décideurs politiques. Il y a déjà eu des batailles, c’est déjà un acteur qui est identifié.

Jeanne Tadeusz : C’est déjà un acteur qui est identifié par certains, pas par tous. Après, et c’est encore le cas aujourd’hui, par nature il y a énormément de renouvellement du personnel politique, donc il y a toujours un travail à faire.
Je rejoins tout à fait ce que disait Fred, je suis arrivée à une période où on n’était plus dans le logiciel libre cancer pour l’informatique tel que ça pouvait l’être plutôt au début des années 2000 ; l’existence du logiciel libre était un peu plus acquise, on va dire de manière très globale, dans le système politique, des noms comme Firefox ou autres commençaient à être connus du grand public, il y avait au moins cet aspect. Sur plein de choses, le Libre était effectivement mis en danger, mais disons que les attaques n’étaient plus aussi frontales, on n’était plus autant dans un combat d’existence, finalement on essayait plus de nous étouffer plus que dire qu’on était mauvais fondamentalement.

Le pacte du logiciel libre et candidats.fr


Walid Nouh : Donc l’idée de remettre un peu plus l’attention sur la partie promotion se traduit comment à cette époque-là ? Quelles sont les actions que vous faites pour faire de la promotion ?

Jeanne Tadeusz : Il y en a eu plusieurs. Une qui a beaucoup fonctionné, qui avait été un peu lancée avant mon arrivée, que j’ai pu continuer, qui a d’ailleurs plutôt bien marché, qu’on a appelée Candidats.fr. Le but c’était, avec les bénévoles de l’association, de contacter un maximum de candidats à toutes les élections, simplement, déjà, pour leur parler du logiciel libre, leur dire que ça existe. Finalement c’est une première pierre, c’est la manière de lancer un premier contact. C’est particulièrement intéressant de travailler avec les bénévoles parce que, notamment en région, ça permet, pour les élections régionales mais aussi les élections à l’Assemblée nationale par exemple, que ce soit des électeurs de la circonscription qui leur parlent, ça a évidemment plus de poids. Simplement déjà leur parler du logiciel libre et aussi leur demander – tous ne le faisaient pas mais beaucoup l’ont fait quand même – de s’engager en faveur du logiciel libre en signant ce qu’on appelait une charte où ils s’engageaient déjà à ne pas nuire au logiciel libre et idéalement, peut-être, également de le soutenir.

youtube.com/watch?v=AsJEGlz_Un…

Walid Nouh : Je me souviens très bien de Candidats.fr. C’est une idée originale que vous avez eue à travers vos réflexions ? Comment en êtes-vous arrivés à Candidats.fr ?

Frédéric Couchet : Je peux répondre parce que j’y étais.
Initialement, justement, on s’était dit « on a rencontré plein de politiques à un moment de combat, c’est-à-dire à un moment où ces personnes-là sont élues, ce qui serait bien c’est soit de les rencontrer, en tout cas de les sensibiliser avant même les élections », donc Candidats.fr a pris deux formes. Nous nous sommes tout simplement inspirés de ce qu’avait proposé à l’époque, je crois, Nicolas Hulot qui proposait un Pacte écologique ou un truc comme ça. Nous appelions ça le Pacte du logiciel libre, un document d’une page, très simple, comme le dit Jeanne, où les candidats et candidates s’engageaient déjà à ne pas nuire au logiciel libre et même, éventuellement, à le favoriser. Cela reposait beaucoup sur la mobilisation en local des bénévoles pour contacter les candidates et les candidats.
La première édition, c’est pour la présidentielle de 2007. Pour la présidentielle, on s’est dit qu’on n’allait pas faire un a un pacte tout simple. On s’est dit que dans les équipes de candidats et de candidates il y avait des gens capables de répondre à un questionnaire plus détaillé et surtout, on voulait des engagements ou des réponses sur tous les sujets qui nous intéressent.
Avec le chargé de mission affaires publiques à l’époque – 2007, ça devait être Christophe – et des bénévoles, on a donc élaboré un questionnaire assez long qu’on a envoyé à l’ensemble des équipes des candidats. De mémoire, en 2007, il y avait 12 personnes candidates et je crois que les 8 premières ont répondu, y compris le président élu ensuite, Nicolas Sarkozy, et sa réponse au questionnaire était la pire de toutes, soyons clairs, il n’y avait aucune surprise sur ce qu’il allait mettre en œuvre par rapport au logiciel libre ou à Internet. En tout cas, les personnes des équipes des candidats avaient pris le temps de répondre vraiment en détail au questionnaire.
On a renouvelé ça, évidemment, pour la présidentielle suivante, puis Pacte pour le logiciel libre pour l’ensemble des élections locales.
L’inspiration du questionnaire, c’était en fait qu’il y avait d’autres personnes, d’autres structures qui faisaient des questionnaires. L’idée c’était vraiment de sensibiliser avant, d’avoir leur position avant. Et nous ne faisions aucun commentaire sur les réponses, c’est-à-dire qu’on publiait les réponses et ensuite les gens, en fonction des réponses, allaient pouvoir se positionner sur leur choix, sachant évidemment que les réponses au questionnaire Candidats.fr n’était qu’un des éléments de vote pour une personne.
Ça se poursuit encore aujourd’hui. On ne fait plus de questionnaire parce qu’on se rend compte que les équipes de candidats et candidates ne répondent plus à ce genre de questionnaire, par contre, on poursuit le Pacte du logiciel libre pour les élections locales, même si ça marche moins que dans les années 2007, 2012, 2017, etc.

Walid Nouh : Je suppose que pour vous ça aussi l’avantage de savoir en avance à quoi vous attendre quand un candidat arrive. Quand Sarkozy est élu, vous savez exactement à quoi vous attendre et, en gros, quelles actions, ce qui peut se passer.

Frédéric Couchet : Oui tout à fait.

Jeanne Tadeusz : Oui, absolument, et c’est un avantage notamment au niveau local. À l’April, nous n’étions que quelques salariés, il y avait des bénévoles impliqués sur le terrain, mais avoir des élus ou des futurs élus qui prennent la peine d’échanger avec nous, de répondre, ça permet aussi identifier des relais potentiels, des gens avec qui on peut, peut-être, échanger en amont. Aussi se faire connaître, parce que, parfois, nous n’étions pas forcément bien identifiés par de nouveaux arrivants dans le champ politique et pouvoir créer du lien avec des gens qu’on n’aurait pas forcément créé autrement.

Frédéric Couchet : Il faut préciser aussi, pour que les gens comprennent bien, qu’au niveau de l’Assemblée nationale et du Sénat beaucoup de choses se jouent sur une très faible proportion de personnes pour les projets de lois. Parfois la télé nous montre des hémicycles blindés où les parlementaires votent, mais en fait dans le travail au quotidien, il y a du travail qui se fait en commission, en hémicycle, etc. En commission, il y a quelques personnes qui travaillent sur ces sujets et, dans chaque parti politique, il y a des personnes référentes. Donc, ne serait-ce qu’identifier ces personnes référentes ça prend du temps. L’avantage du questionnaire était qu’on pouvait en identifier certaines avant, avec des engagements, et après nous retournions les voir en leur disant « vous avez été élu, vous avez signé le Pacte du logiciel libre. Il y a, par exemple, tel projet de loi qui arrive, nous avons des amendements pour corriger telle ou telle chose ou, au contraire, pour améliorer telle ou telle chose » et c’est quand même très efficace. Il faut vraiment retenir qu’au Parlement ça se joue à pas grand-chose, parfois une seule personne peut faire basculer un projet de loi si on arrive à la convaincre et surtout à l’identifier.
Donc même si les parlementaires connaissent peut-être le nom de l’April, nous, à l’inverse, parfois on découvre des gens qui sont mobilisés sur des sujets. Récemment, par exemple, nous avons été contactés par un député qu’on ne connaissait pas, qui nous a découverts via nos initiatives et qui se trouve être un député qui utilise une distribution libre sur son ordinateur. On a discuté de ce qu’il était possible de faire.

Walid Nouh : J’avais deux questions. La première. Vous parler des bénévoles, est-ce que ça représente beaucoup de gens ? Est-ce que ce sont des personnes très diverses ? C’est la première question.
La deuxième question pour Jeanne. Tu passais ton temps justement à essayer de trouver ces gens à qui parler, à avoir des relations avec eux et à faire passer les messages que vous vouliez faire passer. C’est bien ça ?

Jeanne Tadeusz : Je vais peut-être commencer par répondre à la deuxième question, si ça ne t’ennuie pas Fred, si ça ne t’ennuie pas Walid.
Finalement, mon travail c’était effectivement les deux aspects. Beaucoup énormément parler à ces personnes, mais il faut aussi préparer ce qu’on va dire, donc aussi énormément de travail en amont, par exemple quand un projet de loi est déposé, dès l’origine commencer à l’étudier, commencer à voir ce qui pourrait avoir des incidences pour le logiciel libre. Fred parlait, par exemple, de proposer des amendements. Il faut quand même arriver avec un amendement qui est prêt, qui est rédigé, être sûre de ne pas se tromper. Il y avait aussi tout cet aspect de recherche juridique, d’analyse juridique au préalable, qui représentait une grande partie de mon temps.

Converge avec d’autres acteurs


Walid Nouh : Est-ce que tu étais toute seule ou est-ce que c’était plutôt un ensemble de personnes, d’associations ?

Walid Nouh : OK.
Sur ces sujets-là, vous embarquiez d’autres personnes ? Ce n’est que l’April qui répond ou il pouvait vous arriver de faire une espèce de coalition avec d’autres personnes qui défendaient à peu près les mêmes sujets ?

Jeanne Tadeusz : On travaille évidemment toujours en collégialité avec les bénévoles, avec le délégué général, avec le conseil d’administration. Après, j’avais été recrutée parce que j’étais juriste, donc pour cette expertise, finalement, sur l’aspect droit.

Jeanne Tadeusz : Ça peut arriver. On a pu travailler avec d’autres personnes, je pense notamment à La Quadrature du Net, à mon époque on a travaillé régulièrement ensemble, notamment sur ACTA [Anti-Counterfeiting Trade Agreement], le traité commercial anti-contrefaçon. Eux étaient fer de lance, on a beaucoup travaillé avec eux, on les a beaucoup appuyés parce que, finalement, nous étions sur les mêmes combats et sur la même ligne. On a pu travailler avec d’autres structures, par exemple, sur les questions de brevets, on a pu parler avec d’autres associations peut-être plus larges. On a pu travailler avec la Confédération paysanne parce que la question de brevetabilité à tout craint, la brevetabilité du vivant, rejoint la problématique de la brevetabilité du logiciel.
Donc dès qu’on avait cette possibilité d’avoir une convergence en termes de militantisme, bien évidemment on s’en saisissait et, au contraire, c’était très intéressant de pouvoir faire ces liens. Nous aussi, en tant que structure, nous avons appris plein de choses, par exemple en travaillant avec la Conf et j’ose espérer que cela les a peut-être fait réfléchir un petit peu sur la problématique numérique.

Frédéric Couchet : Pour compléter et répondre à ta question sur les bénévoles. Sur les brevets, par exemple, on a aussi beaucoup échangé avec Act Up-Paris à l’époque où Emma Cosse était la présidente. Comme vient de le dire Jeanne, la thématique brevets est beaucoup plus large que simplement la problématique logiciel et souvent, en plus, on a les mêmes acteurs en face de nous, c’est-à-dire qu’on se retrouve souvent avec les mêmes personnes. Quand on a travaillé sur la directive droit d’auteur, nous sommes aussi allés voir des gens qui pouvaient avoir des intérêts convergents, notamment les artistes, les interprètes, par exemple, qui n’étaient pas forcément en faveur des DRM ou autres. On a effectivement beaucoup travaillé en coalition. Pour la directive brevets logiciels, dont j’ai parlé, plein de structures européennes étaient impliquées, on était donc rarement seuls sur les sujets. Sur certains sujets nous étions seuls, c’est normal, mais on travaillait beaucoup en coalition.

Les bénévoles de l’April


Le deuxième point, quand tu posais la question sur le travail de Jeanne, une des difficultés c’est que c’est quand même un travail un peu solitaire, beaucoup de choses reposent sur la personne qui est en charge des affaires publiques parce que ce sont des sujets complexes. Nous sommes une petite structure, on n’a pas forcément des bénévoles qui ont envie d’éplucher les projets lois. De temps en temps on tombe sur des gens qui ont cette capacité-là. Par exemple, sur les brevets, je pourrais citer Gibus, Gérald [Sédrati-Dinet], qui est quelqu’un qui a travaillé de façon bénévole sur les brevets et qui a beaucoup accompagné Jeanne. Il y a aussi Sébastien Dinot, par exemple, je sais que tu l’as interviewé récemment dans Projets libres ! pour parler de gouvernance. Mais ça reste quand même une activité très solitaire et lors de la partie où nous étions principalement en défense, à l’époque plutôt de Christophe et Alix, c’est quelque chose qui est, en plus, très usant. Quand tu dois te taper des projets de lois uniquement en défense, avec en plus, en face de toi, des gens qui vont essayer de te rabaisser, « vous êtes des geeks, vous ne comprenez rien », c’est très dur humainement et en plus, quand il y a des projets de lois qui sont très importants, les journées s’allongent, il faut le dire, parce que c’est jour, nuit, etc.
Sur la partie bénévoles, pour répondre à ta question, en fait quelques bénévoles nous aident sur la partie institutionnelle, je viens de le dire. Après, le mode de fonctionnement de l’April repose beaucoup sur les bénévoles. Quand on a acté le fait qu’on allait essayer d’avoir une équipe salariée, on s’est dit « il faut quand même qu’on reste une association où les bénévoles sont là, peuvent agir avec l’équipe salariée », c’est donc le cas dans tous les groupes de travail de l’April. Par exemple, dans le groupe de travail qui fait les transcriptions, Marie-Odile abat beaucoup de boulot ; par exemple l’administration système, les serveurs de l’April sont gérés par des bénévoles ; on parlera peut-être de l’émission de radio Libre à vous ! ou des services libres sur le site chapril.org, ce sont des bénévoles. Après, ça dépend des projets. Par exemple, sur l’émission Libre à vous !, de mémoire ce sont entre 15 et 20 bénévoles qui interviennent, que ce soit pour des chroniques, pour le traitement du podcast, pour la régie. Nous sommes restés une association, et c’était vraiment fondamental pour nous, qui est un mixte de personnes salariées et de bénévoles qui sont actifs et avec un conseil d’administration qui joue son rôle de conseil d’administration. Pour nous c’était fondamental, d’autant plus quand le premier salarié est l’un des cofondateurs de l’association.

Les autres grandes actions


Walid Nouh : OK. Si je reviens sur ces grands combats, on a parlé des brevets logiciels, on a parlé de la partie DRM, de Candidats.Fr qui n’est pas un combat qui est plutôt de la promotion. Quelles sont les grosses actions que vous aimeriez mettre en avant, expliquer aux auditrices et aux auditeurs, soit qui vous ont marqués personnellement soit qui font partie des choses un peu fondatrices de l’association ?

Jeanne Tadeusz : Je vais plutôt reprendre des choses sur lesquelles j’ai pu travailler à l’époque où j’étais salariée à l’April, qui me semblent particulièrement importantes parce qu’on en entend encore parler aujourd’hui, je pense qu’on peut en voir encore très nettement les ramifications, c’est quelque chose qui continue, c’est toute la question des « Open Bar »/Microsoft dans les ministères et plus largement l’utilisation du logiciel libre dans les administrations. Ça a été, pour le coup, un combat que j’ai eu l’occasion de mener avec l’April, un gros combat ; le logiciel libre, évidemment, même au-delà du logiciel libre une vraie question de souveraineté, une vraie question d’indépendance qui, je pense, est peut-être encore plus d’actualité aujourd’hui qu’à l’époque, mais le fait est qu’avoir, au sein même du ministère de la Défense, un centre de compétences Microsoft, qui a accès à la totalité des ordinateurs du ministère, reste quand même quelque chose qui était extrêmement problématique, qui a fait quand même beaucoup de bruit. Ça a été, pour nous, un vrai travail à la fois d’investigation, de rencontres, d’échanges, on a beaucoup travaillé à obtenir des sources, à croiser des sources, on a fait une quantité assez impressionnante de demandes CADA, on a finalement obtenu des document occultés.
La CADA, c’est la Commission d’accès aux documents administratifs. La logique de la CADA part finalement de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : tout le monde a le droit demander à l’admiration de rendre des comptes, ça veut donc dire que tous les documents de l’administration, sauf exception, sont communicables. N’importe qui, vous, moi, peut demander accès aux documents de l’administration. Nous avons utilisé cette possibilité, qui existe pour tout le monde, en tant que structure pour demander au ministère de la Défense de publier son appel d’offres, il n’y en avait pas, et aussi son contrat. Évidemment, des mentions peuvent être occultées, ils ont droit de le faire sur les montants financiers, sauf qu’on a retrouvé des pages entières caviardées sans qu’il y ait de justification légale, ce qui a pu mener à un combat assez long pour obtenir toutes ces informations.

Walid Nouh : Je suis retombé sur les vieilles vidéos de l’époque qui m’ont replongé dans tout ça. Comment entendez-vous parler de ce contrat « Open Bar » ?

Jeanne Tadeusz : Par des contacts. Je pense que c’est un peu l’intérêt, justement, de tout ce qui est affaires publiques de manière générale

Frédéric Couchet : Des sources.

Jeanne Tadeusz : On peut dire qu’on a des sources, mais on est impliqué dans le logiciel libre, d’autres gens le sont, on rencontre des gens que ce soit à des événements, à des salons, peu importe, on va échanger et puis on va commencer à entendre parler de quelque chose, on va essayer de creuser un petit peu, on va essayer d’aller voir d’autres personnes qui sont en lien par exemple avec cette administration, pour reprendre l’exemple de la Défense et, en grattant, on commence à avoir quelques bribes. On va faire, par exemple, justement une demande de document administratif, on va voir si tombe sur quelque chose, parfois ça fonctionne, parfois ça ne fonctionne pas, et c’est comme ça. On a aussi des sources qui peuvent éventuellement nous donner un certain nombre d’éléments.

Frédéric Couchet : Au fil des ans, on a aussi développé des relations de confiance avec certaines personnes des administrations qui ont un sens de l’intérêt général hautement développé et qui, pour certaines, nous transféraient des documents en nous disant « regardez, j’ai vu passer ça, ça me paraît scandaleux, est-ce que vous pouvez faire quelque chose ? ». Ce sont vraiment des choses importantes. Quand je disais, tout à l’heure, qu’on a rencontré des responsables politiques qui ont un haut sens de l’intérêt général, dans l’administration aussi, notamment parce qu’il y a des gens, sur certains dossiers, qui ont été outrés par des décisions qui ont été prises au mépris, en fait, de leur propre expertise.
Je prends un exemple. Il y a quelques années, le format Microsoft pour les documents bureautiques a été soumis à la normalisation au niveau international avec l’idée que ça devienne une norme. En France l’Afnor, l’Association francophone de normalisation, un organisme public, a travaillé de façon ouverte pendant un~an~et~demi ou deux~ans, on participait, il y avait des personnes expertes de l’administration et au bout de ces mois de travail, ce groupe de travail d’expertise a dit : « Non, le format ne peut pas être normalisé, il y a des manques, donc l’Afnor doit voter contre », c’était la dernière réunion. Et deux ou trois jours plus tard, je ne sais plus, on apprend que l’Afnor décide de s’abstenir et personne ne comprend rien, c’est-à-dire personne ne comprend pourquoi tout d’un coup l’Afnor, donc la haute direction de l’Afnor, décide d’aller contre les recommandations de ce groupe de travail. On apprendra quelques mois plus tard, via un article de presse, que la décision est descendue directement de l’Élysée, du conseiller numérique du président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy. Ce conseiller numérique, Frank Supplisson, a donc donné l’ordre à la direction de l’Afnor de ne pas voter contre mais de s’abstenir. Vous pouvez imaginer que les personnes des administrations, qui avaient participé à ce groupe de travail, ont été particulièrement outrées de cette voie de fait.
C’est quelque chose auquel on a dû faire souvent face et auquel, je pense, beaucoup de structures comme la nôtre font face dans d’autres domaines. On fait face à des structures de lobbying qui sont incroyables, c’est-à-dire qu’en face de nous c’est Microsoft, ça peut être des Google, ça peut être des Apple, là où d’autres vont avoir en face d’eux des Total, etc. On se bat avec ses moyens, parfois on obtient des résultats positifs. En fait, le fait d’avoir raison ne garantit pas de gagner, il y a un rapport de force. C’est un peu ce qu’on a appris et, au début, cela nous dérangeait particulièrement. Maintenant on a accepté le fait qu’il y ait un rapport de force.

Walid Nouh : Jeanne, tu veux continuer, sinon j’ai une question complémentaire là-dessus ?

Jeanne Tadeusz : Non, c’est bon. Je pense que Fred a très bien résumé la question. Le rapport de force est effectivement réel.

Frédéric Couchet : Juste pour finir sur l’« Open Bar » Microsoft/Défense, Jeanne ne l’a pas dit, la presse a beaucoup relayé cette action-là. Cela a fait aussi beaucoup pour notre travail de reconnaissance, c’est-à-dire que Jeanne a été interviewée notamment dans l’émission Le Vivinteur par Jean-Marc Manach qui faisait une émission sur France 5 et, quelques années plus tard, un Cash Investigation a été entièrement consacré à ce sujet-là et ce Cash Investigation n’a existé que parce que nous avons fait ce travail-là, le journaliste-réalisateur qui a fait ce travail d’enquête est venu nous voir et il a fait ça. Ce dossier-là est un peu particulier aussi parce qu’il a participé à la visibilité de notre action et c’est aussi une sorte de reconnaissance du sérieux de notre action vu que des journalistes tout à fait sérieux comme les gens du Vinvinteur ou de Cash Investigation en ont fait un sujet.

youtube.com/watch?v=p0ycoG7_ja…

La relation avec les journalistes


Walid Nouh : La question que je voulais poser c’était votre relation avec les journalistes. Que peut-on en dire, Jeanne ?

Jeanne Tadeusz : Finalement nous avons été un acteur, une source d’informations pour les journalistes avec qui on pouvait être amenés à échanger. Évidemment, en tant que structure qui faisions de la communication, nous étions amenés à contacter régulièrement des journalistes pour les informer de nos différentes actions, ce que, j’imagine, l’April fait toujours. Après, sur des sujets brûlants, typiquement l’Open Bar Microsoft, on a pu faire un certain nombre de communiqués de presse qu’on leur transmettait, on répondait aussi à leurs sollicitations. Je sais que pendant les périodes open bar mais aussi pendant les périodes de lutte contre ACTA, dont on vient de parler, le traité commercial anti-contrefaçon, on a pu échanger avec énormément de journalistes, passer du temps à faire des interviews, répondre à des questions. C’est un travail de sensibilisation des journalistes pour que, finalement, ils découvrent aussi les enjeux, parce que, eux aussi, évidemment, travaillent sur énormément de sujets et après, effectivement, essayer de faire passer un maximum d’informations.

Frédéric Couchet : Quand nous avons commencé, nous avons pris une position de départ qui était d’essayer de publier tout ce qu’on fait et de mettre les liens vers toutes les références. C’est un des reproches que parfois des gens nous faisaient en disant « vos trucs sont illisibles parce qu’il y a des références partout, c’est super détaillé », mais c’était volontaire. On voulait que les gens qui lisent nos communiqués, nos analyses, puissent eux-mêmes se faire leur propre analyse s’ils en avaient envie. Si on citait un projet de loi, on mettait le lien, si on citait un amendement, on mettait le lien, etc. Les journalistes avec qui on travaillait pouvaient donc vérifier ce qu’on faisait. C’est un gage de transparence, de confiance, et inversement, de temps en temps, nous avons été la source de journalistes, mais comme plein de gens. Aujourd’hui, un journaliste d’investigation qui n’a pas de sources ne peut pas faire son travail, ça marche dans les deux sens.

Walid Nouh : OK. Jeanne, est-ce qu’il y a d’autres événements, d’autres combats que tu aimerais mettre en avant ?

Jeanne Tadeusz : Je pense qu’on a vraiment vu les plus importants, les plus marquants, les plus flagrants. Je n’en vois pas d’autres. Fred, je ne sais pas si tu en vois d’autres.

Frédéric Couchet : Il y a eu plein d’actions auxquelles Jeanne a participé, notamment sur les marchés publics, autour de l’éducation. Il y en aurait beaucoup, on pourrait y passer deux émissions, mais c’est vrai que Candidats.Fr, Open Bar Microsoft/Défense et ACTA, qu’elle a cité, qui a aussi été une victoire au final, pas que de l’April, de plein de gens, me paraissent l’essentiel.

youtube.com/watch?v=8E0gjepoUn…

Les actions non institutionnelles de Jeanne à l’April


Walid Nouh : OK. Est-ce qu’il y a des choses, des actions non axées sur l’institutionnel que tu aimerais aussi mettre en avant Jeanne ?

Jeanne Tadeusz : En tant que communication externe de l’April, pas vraiment, parce que mon travail à l’April c’était l’aspect purement institutionnel. Après, j’ose pouvoir dire qu’on a quand même aussi, pendant que j’y étais, beaucoup évolué en tant que structure, en tant qu’association. Quand je suis arrivée, j’étais très engagée, mais je n’étais pas une militante, j’étais engagée notamment par mes choix professionnels, en plus, je n’étais pas une informaticienne, je n’étais pas une geek à la base, j’étais plus engagée dans la question libertés fondamentales, droits de l’homme vraiment de manière presque essentielle. À l’époque, je suis arrivée dans une association plutôt geek, si je puis me permettre, et le coût d’entrée n’était quand même pas négligeable.

Walid Nouh : Ça a été dur d’y rentrer ?

Jeanne Tadeusz : Ce n’était pas dur parce que les gens étaient extrêmement accueillants, j’ai été très bien accueillie. Maintenant les premières fois, parfois je ne comprenais pas tout ce qui se passait dans la salle, on va être clair, il y a un petit coût d’entrée avec l’apprentissage des termes utilisés, des abréviations, etc., comme souvent, même en termes d’outils informatiques, je n’étais pas informaticienne, je n’avais jamais fait de HTML, je suis arrivée, je me suis retrouvée à publier sur des wikis et à écrire sur le site internet en HTML, donc oui, il y a un coût d’entrée. Mais c’est une association qui, là-dessus, a évolué plutôt très positivement et c’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié. Que ce soit le conseil d’administration, que ce soit Fred, finalement tout le monde était vraiment dans une démarche d’inclusivité et de ne pas faire peur à ceux qui ne connaissaient pas, qui étaient non-geeks, pour parler simplement.
Quand je suis arrivée avec un regard un peu neuf sur cette question-là, il y a eu une vraie écoute et on a vraiment essayé de travailler, quelque part de « dégeekiser » l’April, en tout cas de la rendre plus facilement accessible et peut-être moins inquiétante pour le grand public.
Finalement expliquer que parler de logiciel libre ce n’est pas que parler du logiciel qu’on utilise sur son ordinateur, relier ça à des questions essentielles aujourd’hui : la question de la souveraineté, la question de la vie privée, la protection de nos données personnelles, vraiment développer aussi cet aspect-là de communication.

Frédéric Couchet : Si je peux compléter aussi, avant l’arrivée de Jeanne nous étions dans un mode guerriers/guerrières quelque part, nous étions attaqués, nous nous défendions. Jeanne est arrivée à un moment dans l’histoire de l’association où c’était moins le cas parce que certains combats étaient déjà soit gagnés soit perdus, en tout cas étaient passés. En plus, elle est arrivée, je l’ai dit tout à l’heure, avec son propre style, ses propres centres d’intérêt, notamment tout ce qui est inclusivité, diversité. Jeanne a dit tout à l’heure que c’était une association très geek, ce qu’elle n’ose peut-être pas dire c’est que c’était aussi une association qui consommait, notamment lors des soirées ou des apéros, beaucoup de bières et de cacahuètes, qui avait peut-être un vocabulaire pas du tout inclusif, notamment pour les femmes. Je rappelle que Jeanne est arrivée en 2010, c’était historiquement une association où il y avait quand même beaucoup d’hommes et qui, à l’époque, n’étaient sans doute pas encore déconstruits donc faisaient des blagues vaseuses voire douteuses voire pire.
Aux gens qui arrivent à l’April on laisse non pas liberté, mais on leur dit « apportez ce que vous avez envie d’apporter », c’est important. Ça a été aussi le début des évolutions de l’April, notamment sur la diversité, notamment la diversité de genre. Très clairement elle a joué un rôle là-dessus, d’ailleurs le groupe de travail Diversité de l’April a été créé en 2006, quelque chose comme ça. Je regardais tout à l’heure les statistiques, à l’époque de l’arrivée de Jeanne le conseil d’administration de l’April ça devait deux femmes sur 17. Aujourd’hui, le conseil d’administration de l’April c’est la parité, cinq hommes, cinq femmes, l’équipe salariée de l’April est paritaire aussi, dans nos groupes de travail il y a de plus en plus de femmes et les apéros, aujourd’hui, ont évolué aussi. Elle a clairement joué un rôle là-dessus pour nous faire comprendre que si on considérait que l’informatique était un enjeu de société, la liberté informatique un enjeu de société, il fallait parler à la société et pas simplement aux geeks blancs, barbus, qui représentaient une bonne partie de l’association.

Walid Nouh : Je ne sais pas si tu veux compléter, Jeanne.

Jeanne Tadeusz : Finalement, il y a un côté organique, dans l’association, qui s’était créée avec des étudiants en informatique et qui avait un peu gardé cet ADN d’étudiants en informatique. Je suis arrivée, je ne l’étais absolument pas et c’est vrai qu’il y a eu quelques moments d’apprentissage, effectivement bière/cacahuètes, tout le monde ne boit pas d’alcool, parfois les gens ont envie de manger autre chose que des cacahuètes. Il y a donc eu toute une période où Fred achetait systématiquement aussi des tomates cerises comme ça il y avait autre chose que des cacahuètes à table. Des moments, aussi, où j’expliquais « en ce moment c’est la période du Ramadan, il vaut mieux mettre les réunions après la rupture du jeûne, en tout cas pas en plein jeûne, au moins pour arranger certains bénévoles et sans forcément leur poser la question d’ailleurs, parce que ce n’est pas forcément agréable d’être mis sous le spot en mode est-ce que tu fais le ramadan ? ». Non, on ne pose pas la question, on voit qu’il n’est pas disponible, il dit que ça l’arrangerait de ne pas faire à entre 18 heures et 18 heures 30. On infère ou on n’infère pas. Ou en tout cas, si jamais les autres sont en train de boire et manger, on n’insiste peut-être pas lourdement pour qu’il prenne quelque chose lui aussi. Finalement ce sont tout un tas de petites choses pour que les gens se sentent plus à l’aise, plus inclus. De mémoire aussi, des bénévoles qui ne buvaient pas d’alcool nous ont gentiment expliqué qu’il fallait arrêter d’acheter du jus de fruit premier prix, que si on prenait des bonnes bières on pouvait aussi prendre un jus de fruit correct pour eux. Plein de petites choses. Pour essayer d’être plus inclusifs, je me souviens qu’à la fin de ma période on a aussi développé les échanges par ordinateur pour permettre à ceux qui soit habitaient loin soit ne pouvaient pas facilement se déplacer de pouvoir échanger et faire vraiment partie de la communauté April et je pense que c’est toujours le cas. Ce sont finalement plein de petites actions assez concrètes que j’ai essayé d’apporter et heureusement, et j’en suis ravie, je vois que l’April a continué pour essayer de se décentrer un peu, de voir un peu les différents types de personnes et leurs besoins pour que tout le monde se sente le bienvenu.
Juste pour terminer, je pense que j’étais effectivement particulièrement sensible parce que j’étais une jeune femme, dans la vingtaine, qui arrivait dans un groupe d’informaticiens. À l’April ça se passait bien, j’ai pu participer à des colloques ou autres où ce n’est quand même pas simple d’être la seule femme dans une salle de 50 personnes.

Frédéric Couchet : Juste pour finir là-dessus parce que je sais, Walid, que tu aimes bien les anecdotes, il y a toujours des tomates cerises, aujourd’hui on progresse, on n’achète que des fruits de saison ou des légumes de saison. Et sur les jus de fruits, un jour un bénévole m’a dit « vous faites chier à acheter des jus fruits merdiques alors que vous prenez des bonnes bières » et effectivement je n’avais jamais fait attention à ça. On essaye donc de progresser, Jeanne a joué un rôle important là-dessus et les personnes qui ont suivi aussi.
Et sur le fait d’être une femme dans les affaires publiques, je ne sais pas si aujourd’hui ça a un peu évolué, mais à l’époque c’était quand même quelque chose qui n’était pas forcément évident parce que dans les affaires publiques, notamment dans les cabinets et autres, c’était souvent beaucoup d’hommes, avec beaucoup de testostérone, il faut donc pouvoir s’imposer dans ce dans ce milieu-là, ce n’est pas évident.

Walid Nouh : Est-ce que Jeanne et toi, à cette époque-là, tu communiquais sur ces changements, justement en termes de diversité, qu’il y avait l’April ou c’était quelque chose de plutôt interne et vous n’avez pas trop communiqué dessus vers l’externe ?

Jeanne Tadeusz : Les deux. Je ne suis pas sûre qu’on ait fait vraiment de la communication grand public. Maintenant, dans des événements plus orientés logiciels libres, par exemple, j’ai pu faire un certain nombre de conférence sur la diversité pour sensibiliser un peu à cette problématique. On a eu aussi un certain nombre de réunions, d’échanges, parfois pour un truc tout bête, mais comme c’était notre cas extrêmement minoritaire en tant que femmes dans le logiciel libre, ça fait du bien de pouvoir se réunir, de discuter, d’avoir un partage d’expérience et de se sentir moins seules. On a pu faire ça aussi.
Donc pas une communication aussi généraliste qu’on pouvait l’avoir par exemple sur la partie institutionnelle, mais on a essayé d’échanger, de partager de bonnes pratiques. J’arrivais avec un petit bagage au sujet, mais je prétendais pas, d’ailleurs je ne prétends toujours pas être spécialiste de la diversité et de l’inclusion, donc de voir concrètement et clairement ce qui pouvait fonctionner et partager un peu nos retours d’expérience avec d’autres structures c’était très intéressant aussi.

Frédéric Couchet : Là on parle de la diversité de genre, parce qu’effectivement dans le monde informatique, notamment le logiciel libre, c’est sans doute ce qui est le plus visible, mais on essaie d’aborder la diversité dans son ensemble, notamment par exemple, depuis de nombreuses années, les événements publics officiels de l’April sont organisés dans des endroits accessibles pour les personnes en situation de handicap. Ce n’est pas le cas de notre local, on espère que le bailleur fera un jour des travaux. Quand on fait, par exemple, une assemblée générale c’est dans un endroit qui est accessible, quand on organise un événement public, notamment à Paris, il se trouve qu’on a souvent accès à un lieu qui s’appelle la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès humain qui est accessible, c’est vraiment très bien. On essaye d’aborder cette question de diversité dans son ensemble. Par exemple, dans l’émission de radio on le met aussi en œuvre dans les recrutements. Aujourd’hui, tout simplement, des gens se demandent comment favoriser la contribution de femmes ou autres, eh bien ça passe aussi par le vocabulaire, c’est-à-dire qu’il faut se montrer inclusif avec le vocabulaire, il faut aussi expliquer, pour accueillir le maximum de gens, qu’il n’y a pas besoin forcément d’une forte expertise, qu’il va y avoir un accompagnement, on précise même, dans certaines documentations, que l’accompagnement peut être fait par une femme si, par exemple, une femme souhaite être accompagnée par une autre femme. Je sais qu’actuellement il y a aussi des discussions pour relancer des échanges en non-mixité au sein de l’association parce que ça peut être utile. C’est un travail qui n’est jamais fini, qui est sur le long terme, mais qui est essentiel et surtout, il faut à la fois avoir l’envie de le faire et y passer du temps, c’est-à-dire que ça doit être intégré dans le projet et pour nous, aujourd’hui, c’est intégré dans le projet qu’est l’April.

Les groupes de travail de l’April


Walid Nouh : Il y a quelque chose qu’on n’a pas expliqué, dont vous avez parlé plusieurs fois, vous avez parlé de groupes de travail. Pourriez-vous expliquer ce que sont ces groupes de travail ? Est-ce qu’ils sont apparus dès le départ ? À quoi servent-ils ? Quand sont-ils apparus dans le travail de l’association ?

Frédéric Couchet : Dès le départ, quand on a créé l’association, on ne s’est pas dit « seules les personnes membres de l’association peuvent contribuer ». Dès le départ on s’est dit « n’importe qui peut contribuer, qu’on soit membre ou pas de l’association ». On a formalisé une organisation qui est qu’un sujet a son groupe de travail, donc, en gros, il y a une personne ou deux référentes et puis des gens qui vont agir et à qui on donne des moyens. Historiquement, en 96, le moyen principal c’était une liste de discussion et l’accès au site web. Aujourd’hui, par exemple, ça pourrait être l’accès au local de l’April pour faire des réunions ou autres.
Les groupes de travail sont un peu thématiques. Par exemple, il y a un groupe qui a beaucoup réfléchi autour du logiciel libre dans le monde associatif, il y a un groupe de travail Transcriptions très utile et très efficace notamment avec Marie-Odile Morandi qui fait la transcription d’enregistrements audio ou de vidéos qui sont en lien avec la liberté informatique ; il y a un groupe de travail Revue de presse, qui publie toutes les semaines une revue de presse autour des sujets du logiciel libre. Ces groupes de travail sont vraiment ouverts à tout le monde, même si une personne qui n’est pas membre de l’April, elle va sur le site de l’April, elle trouve le groupe de travail, elle s’inscrit à la liste de discussion et elle peut contribuer. Le seul groupe de travail qui, entre guillemets, est « réservé » aux membres de l’April c’est l’administration système, parce que c’est gérer les serveurs de l’April, il y a des données personnelles importantes, donc on préfère que les gens soient membres de l’April. On fonctionne par groupes de travail et, en interne, il y a une liste dédiée à la partie institutionnelle, qui est ouverte aux membres, et c’est l’autre exception : les actions institutionnelles se discutent sur une liste interne pour des questions de confidentialité, pour des questions de confiance, mais il peut y avoir certains sujets qui se discutent ailleurs. Je pense que quand tu recevras Étienne Gonnu qui occupe actuellement le poste affaires publiques, il évoquera sans doute la thématique des logiciels libres de caisse qui se discute sur une liste publique, la liste comptabilité.
On a donc un certain nombre de groupes de travail, il y a pas besoin d’être membre de l’April pour les rejoindre, il faut juste avoir du temps et quasiment tout peut se faire à distance via les listes de discussion, via le site web, via les outils de visioconférence.

Que retenir de toutes ces actions passées ?


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Frédéric Couchet : L’idée c’était vraiment, effectivement, de faire connaître au plus grand nombre. À l’époque, on n’avait même pas conscience qu’un jour on devrait faire des actions politiques, nous étions peut-être naïfs, c’est au bout trois~ans, de mémoire. L’April s’est créée en 96, c’est à partir de 99 que nous nous sommes rendu compte qu’il allait falloir se mobiliser contre des projets de lois, notamment au niveau européen. Nous n’avions pas cette conscience-là. En fait, une des forces de l’association, c’est que nous nous sommes adaptés au fur et à mesure. Par contre, on avait ce positionnement très clair, ce positionnement que le logiciel libre est un enjeu de société, les personnes méritent la liberté informatique et on allait faire ce qu’on pouvait pour le faire connaître, en fonction de nos possibilités et, comme nous étions bénévoles, c’était en fonction du temps dont nous disposions, du temps libre en dehors du travail ou pendant le travail si on pouvait s’arranger.

Walid Nouh : OK. Très clair.
Maintenant, j’aimerais qu’on passe à ce que vous retenez, dans ton cas, Jeanne, de ton passage à l’April, de ce pourquoi tu t’es battue, ce que t’as pu commencer à mettre en place ou mettre en place. J’aimerais bien comprendre, déjà toi, ce que tu retiens de cette expérience. Tu es arrivée avec une certaine vision des choses, tu as travaillé là-dessus, tu es partie faire autre chose. Qu’est-ce que tu retiens de toute cette période ?

Jeanne Tadeusz : Ça a été une période quand même assez longue, j’ai travaillé pas loin de six ans à l’April. Ça a été une période très positive, beaucoup de belles choses, des combats qu’on a menés, de beaux combats, certains qu’on a gagnés, on a cité ACTA tout à l’heure, ça a été un grand combat, de longue haleine, sur lequel on a quand même connu de beaux succès, même un très beau succès ; beaucoup de travail sur Candidats.fr pour les élections ; beaucoup de sensibilisation qu’on a pu faire ; on a pu aussi parler dans les administrations. J’ai appris beaucoup que ce soit techniquement, je connaissais à peu près ce qu’est que le logiciel libre, mais, objectivement, ça s’arrêtait là. Aujourd’hui encore mon ordinateur est sous Debian, sur mon téléphone j’utilise GrapheneOS et je continue d’utiliser des logiciels libres même si ce n’est plus mon métier, la question n’est pas là et je reste absolument convaincue. J’étais déjà dans tout ce qui est institutionnel, mais être vraiment sur l’aspect plus militant j’ai également énormément appris. Je continue d’avoir un intérêt certain pour ces questions ; aujourd’hui je n’utilise plus du tout, mais beaucoup plus récemment, pendant un peu plus de deux ans, j’ai été cheffe de service au sein de la CNIL au service des affaires régaliennes, je me suis occupée de préparer des propositions de délibérations pour la CNIL sur tous les sujets on va dire sensibles, régaliens – défense, intérieur, justice, police et ainsi de suite –, et, bien évidemment, les questions de logiciel libre sont revenues là-dessus et finalement, avec ce travail à la CNIL, je retombe aussi un peu sur les mêmes problématiques et peut-être qu’aujourd’hui je les défends différemment.

Walid Nouh : C’est marrant. Ma question suivante c’est : est-ce que ton expérience à l’April t’a aidée dans des emplois suivants ?

Jeanne Tadeusz : Elle m’a aidée humainement, personnellement elle m’a fait grandir, ça c’est certain. J’ai appris beaucoup de choses. En toute transparence, même si je ne rentrerais pas dans les détails de mon travail puisque ce n’est l’objet, aujourd’hui je suis juge, donc ça n’a rien à voir. Je travaille notamment sur des litiges d’accidents médicaux ou de marchés publics. Autant, peut-être un petit peu les marchés publics, j’ai pu faire ça à l’April mais c’est vraiment la limite et je ne travaille plus du tout sur ces questions-là, mais ça m’a appris humainement, ça m’a appris personnellement. L’investissement dans une association est aussi quelque chose qui est très riche, que j’ai beaucoup apprécié. Je pense que je ne regrette pas d’avoir repassé la main au bout de six ans, parce que, finalement, j’arrivais au bout d’un cycle. Il y avait un nouveau cycle qui se lançait avec de nouvelles élections, avec de nouvelles personnes à sensibiliser et un peu le retour des mêmes sujets. C’est ce que disait Fred tout à l’heure : au bout d’un moment, on finit par ressentir une certaine forme de lassitude à reprendre son bâton de pèlerin et de recommencer ce qu’on a déjà fait, je pense que c’était le moment, pour moi, de passer la main à quelqu’un qui n’avait pas cette forme de fatigue, finalement de répétition. Mais j’ai énormément appris, j’ai énormément apprécié, on a mené de beaux combat et on a même eu des victoires.

Conjuger vie professionnelle et personnelle


Walid Nouh : Une question complémentaire me vient : est-ce que dans ce type de métier c’est difficile de conjuguer une vie professionnelle où tu peux avoir des horaires un peu déconstruits, etc., avec une vie personnelle ? Comment est-ce que tu fais pour allier les deux quand on voit que les réunions peuvent durer hyper tard, que ce n’est pas forcément durant les horaires de bureau ?

Jeanne Tadeusz : Ce n’est pas forcément durant les heures de bureau, il y a aussi une certaine souplesse et personnellement, à l’April, j’ai toujours eu y compris un délégué général qui s’assurait du respect et de la séparation entre vie pro et vie perso, avec la possibilité simplement de récupérer. C’est concret, ça peut sembler tout bête quand on le dit, mais quand il y a une réunion le soir ou le week-end, on récupère nos heures. On pose des vacances, on les prend et elles sont respectées. C’est à la fois une discipline personnelle, parce que c’est vrai que ce n’est pas évident et c’est quelque chose qui touche le milieu associatif dans sa globalité, pas du tout uniquement l’April. On travaille avec des bénévoles qui sont surtout disponibles le soir et le week-end. En général, si on travaille sur ces questions-là, c’est qu’on y croit donc on peut vite se faire happer. Il faut se poser à soi-même des règles et, évidemment aussi, avoir une hiérarchie à côté qui s’assure qu’on ne va pas brûler la chandelle par les deux bouts et prendre des temps de repos, ça permet de conjuguer l’un et l’autre.

Walid Nouh : Fred, de ton côté, si tu prends un peu de recul, qu’est-ce que tu penses de toutes ces années, de ces différents combats gagnés, de ces menaces qui reviennent, etc. ? Qu’est-ce que tu retires un peu de tout ça ? Qu’est-ce que tu pourrais mettre en avant ?

Frédéric Couchet : Ce que j’en retire ? Quelque part c’est le pied. J’ai la chance que mon militantisme corresponde aujourd’hui à mon activité professionnelle, ce qui est quand même assez rare.
Sur ce que dit à l’instant Jeanne sur la lassitude potentielle d’une personne qui est affaires publiques à l’April, moi j’ai la chance de faire plusieurs activités à l’April : j’aide sur les affaires publiques, je fais aussi de la sensibilisation, je fais de l’admin-sys, donc c’est assez varié. Si, à un moment j’ai une lassitude, en tout cas quelque chose qui m’énerve sur un sujet, je peux passer à autre chose. C’est vraiment important.
Ce que je retiens, en fait, ce sont les rencontres humaines. C’est-à-dire que j’ai rencontré des gens absolument dingues en termes de qualité, ça serait difficile d’en citer beaucoup, mais je vais quand même me permettre d’en citer trois :

  • sur les affaires publiques, il y a notamment Christophe Espern, là c’était vraiment le mode guerrier pour le coup, c’était une autre époque, mais je ne pensais pas rencontrer quelqu’un, informaticien donc pas du tout juriste, avec des capacités d’analyse de projets de lois, de rédaction d’amendements et de combats législatifs à ce point-là. On a passé, pour le coup, beaucoup de temps ensemble et c’était vraiment impressionnant. Je suis très content de l’avoir rencontré ;
  • je voudrais aussi citer celui qui a pris la succession à la présidence de l’April quand je suis devenu délégué général, Benoît Sibaud. Pareil, Benoît Sibaud est quelqu’un qui est bénévole, qui a un métier à côté de ça, et qui était capable d’intervenir sur tous les sujets, en bienveillance, en intelligence, capable d’analyse et de réflexion et tout ça. Parfois je me demandais quand est-ce qu’il dort ? Franchement incroyable aussi !
  • et la dernière, pour faire le lien avec tes prochains invités, c’est Bookynette, Magali Garnero qui est actuellement présidente de l’April. C’est quelqu’un qui a une énergie incroyable, une gentillesse incroyable, qui fait plein de choses, elle était ce week-end encore à un événement libriste. Elle participe aussi aux évolutions de l’April en tant que présidente, c’est la deuxième présidente de l’April, on a eu une présidente avant, Véronique Bonnet, en 2020 je crois, et là maintenant Magali. Pareil, elle n’est pas informaticienne, elle est libraire, elle a une énergie dingue.

C’est déjà cela que je retiens dans l’April, au-delà des combats qu’on a pu mener, des choses qu’on a pu gagner ou perdre, ce sont les rencontres humaines que j’ai pu faire et que je n’aurais sans doute peut-être pas faites si j’avais continué une « carrière professionnelle », entre guillemets, dans l’informatique libre en tant qu’informaticien. Pour moi ce sont avant tout les rencontres et je pense qu’il y en aura d’autres, en tout cas j’espère, ce qui fait que le matin, quand je me lève, je suis content ; quand arrive le dimanche soir je suis content aussi parce que je sais que je vais retrouver l’April.
Juste pour finir, je reviens sur ce qu’a répondu Jeanne, tout à l’heure, à ta question sur les horaires. Avant qu’il y ait une équipe salariée à l’April, j’ai connu pas mal d’associations, et il y en a encore beaucoup, où on applique souvent les mêmes méthodes de management qu’on pourrait retrouver dans des entreprises, des méthodes de management toxiques et c’est quelque chose auquel on a toujours fait attention, notamment sur les horaires. C’est vrai que quand tu es en affaires publiques il y a une difficulté : parfois il faut passer une nuit au Parlement ou à écouter des débats, donc comme disait Jeanne, il y a des récupérations, etc., et surtout se préserver aussi. C’est important. Quand on est militante ou militant ou quand on travaille professionnellement pour une association il y a parfois un risque d’en faire trop, il est donc de la responsabilité du conseil d’administration ou de la personne qui est en charge de l’association ou des deux de s’assurer que les gens se préservent. On n’est pas là pour brûler les militants et les militantes ou les personnes de l’équipe salariée. C’est important.

Walid Nouh : Benoît Sibaud est intervenu dans un épisode sur l’histoire de LinuxFr, qui est très bien aussi, et un grand big up à Bookynette qui a réussi à gérer une table-ronde aux JdLL avec les invités qui n’ont pas forcément bien préparé et finalement ça s’est bien passé, c’était très sympa.

Frédéric Couchet : Précise ce que sont les JdLL.

Walid Nouh : JdLL, Journées du Logiciel Libre de Lyon, édition 2025. C’est une un cycle de conférences qui a lieu tous les ans, qui très divers dans les thèmes à aborder. Je vous recommande vraiment de venir si vous en avez l’occasion, c’est vraiment sympa, il y a plein de conférences différentes, plein de questions qui sont posées. C’est vraiment un chouette événement, en France il n’en reste pas des masses, il reste les JdLL.
On a déjà bien parlé, ça fait déjà une heure et quart qu’on est ensemble. On a parlé de Libre à vous !, mais je pense qu’on va en parler beaucoup plus dans les épisodes à venir. C’est un sujet qui me tient aussi beaucoup à cœur parce que c’est une de mes sources principales pour préparer mes propres épisodes, donc je pense qu’on va en parler assez longuement à un autre moment.

Conclusion


En guise de conclusion, avant de vous laisser le mot le la fin, je voudrais vous poser deux questions ; la première : que diriez-vous aux gens pour soutenir l’April ?

Walid Nouh : Jeanne tu veux commencer ?

Jeanne Tadeusz : Je vais commencer. Pour soutenir l’April venez, venez à l’April, ceux qui le peuvent, venez voir physiquement, ceux qui ne le peuvent pas, inscrivez-vous aux newsletters, adhérez si vous le souhaitez, participez aux groupes de travail et n’ayez pas peur parce que c’est une association qui prend soin d’accueillir tout le monde en prenant en compte les spécificités de chacun.

Frédéric Couchet : Je pends la suite. Je pense qu’il est important, dans les structures associatives, d’être en capacité de diversifier les forces vives pour être au plus proche notamment des évolutions de la société. Il y a des associations qui n’arrivent pas à faire ça, qui vont en mourir parce qu’elles restent dans un temps passé avec un fonctionnement passé, je ne citerai pas de noms, évidemment. Il est important pour nous d’avoir des membres ou des soutiens, des gens qui participent à nos groupes de travail sans forcément adhérer, qui soient le plus divers possible, sachant qu’il reste encore beaucoup de travail. Je dirais aussi que s’il y a des personnes qui sont un petit peu anxieuses par ce qui se passe dans l’informatique aujourd’hui, et elles ont raison, avec les GAFAM, les géants de l’Internet et autres, qu’elles sachent qu’une façon de traiter l’anxiété c’est l’action, donc à l’April vous pouvez trouver différentes manières d’agir, ça peut être simplement transcrire des enregistrements, ça peut être participer à des événements, ça peut être faire des traductions, on a aussi un groupe qui s’occupe de traductions. L’action permet aussi de traiter d’anxiété donc n’hésitez pas à nous rejoindre.

Walid Nouh : J’avais une deuxième question, mais je m’aperçois que c’est à peu près la même que la première, je vais la changer. Jeanne, qu’est-ce que ça fait de voir que les sujets que tu as pu amener à l’April, sur lesquels tu t’étais engagée autour de la souveraineté, le respect des libertés, etc., sont encore plus d’actualité aujourd’hui ? Finalement, c’était assez avant-gardiste !

Jeanne Tadeusz : C’est une excellente question. Qu’est-ce que ça fait ? Il y a une fierté supplémentaire d’avoir mené ces combats dès le départ, peut-être qu’on serait dans un état pire, d’ailleurs c’est peut-être pas très présomptueux de ma part de le dire. On a commencé à lever l’alerte tôt sur ces sujets-là, et on avait raison, quelque part. Il y a une forme de validation de se dire qu’on a essayé d’alerter, on a alerté, on a eu des succès sur des choses qui sont réellement importantes. J’ai quitté mon poste à l’April en 2016, je pense que Trump au pouvoir et la menace qu’on a vis-à-vis des États-Unis notamment ne sont pas des choses qu’on imaginait à l’époque. Au-delà de ça, on soulevait déjà ces questions, peut-être pas avec autant d’acuité qu’aujourd’hui, mais la souveraineté et les problèmes potentiels que ça pouvait poser, aujourd’hui on nous parle de tarifs, on nous parle de ces questions-là. En tant que citoyenne, en tant que personne engagée, je trouve que les questions qu’on a traitées restent toujours d’actualité. On les a lancées, elles continuent d’exister, et on a peut-être pu, et je trouve ça finalement important, lever le voile dès le départ sur ces problématiques et, finalement, ça valide d’autant plus le combat de l’April de continuer à faire connaître toutes ces questions.

Walid Nouh : Fred, veux-tu rajouter quelque chose, sur cette question-là ? Si tu n’as rien à rajouter, je ne vais pas dire que je suis très optimiste, mais paradoxalement j’ai l’impression que tous les sujets sur lesquels on s’est tous battus autour du logiciel libre sont mis en avant aujourd’hui et c’est peut-être un moment où on peut vraiment faire des choses. Qu’est-ce que tu en penses ?

Frédéric Couchet : C’est sûr que sans le logiciel libre, les GAFAM ne pourraient pas faire ce qu’ils font. Est-ce qu’il faut s’en réjouir ? La téléphonie mobile par exemple, Jeanne a parlé de son téléphone, moi j’ai un FairPhone, mais la majorité des gens n’ont pas ça.
Après, je ne me préoccupe plus de questions d’optimisme ou de pessimisme, je reviens sur ce que j’ai dit tout à l’heure, j’agis à mon niveau et après tout n’est pas entre nos mains en fait, malheureusement, ou heureusement, je n’en sais rien, les gens sont libres. C’est qu’on vit une situation internationale, même française, telle qu’il était impossible de l’imaginer à ce point-là. L’important c’est que chacun agisse là où il ou elle se sent en mesure d’agir, c’est ce qu’on fait au niveau de l’April. Après on n’impose rien, les personnes sont libres de faire ce qu’elles veulent. On essaye de faire connaître ces alternatives et même nous, à titre personnel, parfois on a des contradictions, il faut les respecter. En tout cas, il est important d’agir vraiment son niveau si on a envie de le faire et c’est possible aujourd’hui.
Peut-être que l’un des enjeux, justement, c’est la jeunesse aussi. Le monde du logiciel libre, les communautés du logiciel libre vieillissent. Je n’étais pas aux Journées du Logiciel Libre de Lyon, mais je suppute comme que la moyenne d’âge n’était pas forcément très basse, la moyenne d’âge de l’April n’est pas forcément très basse non plus, c’est peut-être un des enjeux. Aujourd’hui, quand on est jeune, on va effectivement plus se préoccuper du climat, on va plus se préoccuper des discriminations, ce qui est parfaitement entendable. Peut-être y a –-t-il des choses à faire pour que ces mondes se rejoignent, comme le fait d’ailleurs un peu Framasoft avec ses outils, que les structures associatives utilisent des outils éthiques donc libres. C’est un des enjeux parce que sinon des associations comme l’April vieillissent, à un moment il y aura une fin. Je pense que c’est là-dessus qu’on doit agir, qu’on doit avoir de la réflexion pour continuer à évoluer et aussi continuer à être pertinents parce c’est important. Une association ne doit pas continuer à exister pour exister, elle continue à exister parce qu’elle a un intérêt et aujourd’hui l’action de l’April a encore un intérêt. Peut-être qu’un jour on aura gagné, comme on dit, je ne sais pas, en tout cas nous sommes encore pertinents et pertinentes aujourd’hui donc n’hésitez pas à nous rejoindre.

Walid Nouh : On arrive à la fin de l’entretien. Je voudrais vous laisser un mot de la fin, si vous avez un message à faire passer avant qu’on se quitte. C’est le moment, Jeanne, est-ce que tu veux dire un mot ?

Jeanne Tadeusz : Un mot de la fin : vive le logiciel libre, il ne faut pas avoir peur du logiciel libre. Quand je suis arrivée, je n’y connaissais rien, aujourd’hui c’est toujours quelque chose qui m’intéresse. Vive le Libre ! Je sais que ça reste le slogan à l’April. Vive le Libre ! En plus, le Libre c’est bien, ça marche, vous rencontrerez des gens bien et il faut en profiter.

Walid Nouh : Fred.

Frédéric Couchet : De mon côté je dirais engagez-vous, n’hésitez pas, n’ayez pas peur de vous engager, d’ailleurs pas forcément dans le Libre, en général, je trouve que l’engagement militant, associatif, a changé ma vie par rapport à ce qui était prévu normalement, mais en faisant attention à l’association dans laquelle vous mettez les pieds. Comme je le disais tout à l’heure, toute association n’est pas forcément respectueuse des gens qui s’engagent. Je trouve que militer, que s’engager c’est important aujourd’hui et l’April est un bon exemple parce que c’est une association qui est militante, humaine et joyeuse, on se marre bien à l’April, encore plus avec Magali Garnero, la présidente. Donc surtout n’hésitez pas à vous engager, je trouve que ça fait du bien quand on s’engage, quel que soit le niveau d’engagement, ça fait du bien au moral, ça fait du bien à la société.

Walid Nouh : Parfait. Je reste sur vos deux mots de la fin, on va se quitter là.
Merci beaucoup Jeanne, merci beaucoup Fred d’avoir accepté de venir parler, d’avoir pris du temps pour le faire. Ça permet aussi aux auditrices et aux auditeurs du podcast d’en savoir un peu plus sur l’April et sur vos propres engagements, c’est vraiment chouette.
Bien entendu, vous qui écoutez, n’hésitez pas à partager cet épisode, à faire des retours, principalement sur Mastodon si vous pouvez, ça sera avec très grand plaisir ou, si on a la chance de se croiser dans un événement, n’hésitez pas à venir aussi dire que ce genre d’épisode vous a plu et bien sûr aussi de le dire à nos deux invités du jour.
À bientôt pour d’autres épisodes, en particulier à bientôt pour la suite des épisodes sur l’April.
Merci Jeanne. Merci Fred. À bientôt.

Frédéric Couchet : Merci Walid.

Jeanne Tadeusz : Merci Walid.ticulier à bientôt pour la suite des épisodes sur l’April.
Merci Jeanne. Merci Fred. À bientôt.

Production de l’épisode


  • Enregistrement à distance le 26 mai 2025
  • Trame : Frédéric Couchet, Jeanne Tadeusz et Walid Nouh
  • Transcription : Marie-Odile Morandini (groupe de transcription de l’April) sur librealire.org (licence CC by-ND 4.0)


Licence


Ce podcast est publié sous la licence CC BY-SA 4.0 ou ultérieur

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The #G7 has once again put multinationals’ profits over the interests of people
Joseph Stiglitz, José Antonio Ocampo and Jayati Ghosh theguardian.com/business/2025/… #economics #tax

"The internet has reached a critical point."

Gustaff H. Iskandar of Common Room (Indonesia) on the Internet Governance Forum, the state of the internet and financing of community-owned connectivity initiatives.

#CommunityNetworks #IGF2025

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Noa Limona details in #Haaretz how the Shin Bet intelligence service summoned a Palestinian student from Haifa University for interrogation regarding his activities with the #Hadash (left) party’s university branch.

The student underwent body searches twice - upon arrival and before entering the interrogation room. When he asked if this was a formal investigation, the Shin Bet operative said no, adding cryptically that “the investigation will be underground, without light.”

The operatives explicitly warned the student not to “cross red lines” or “even come close to them.” They allegedly threatened that if he did, they would raid his parents’ house at 4 AM and destroy it.

[…] Haaretz has learned that another Arab student who belongs to the Haifa University Hadash branch was summoned for a similar warning talk. The second student said he preferred not to talk to Haaretz for fear of the consequences.

haaretz.com/israel-news/2025-0… or

@academicchatter
@palestine
@israel
#IsraelFascism #ShinBet #freedomofexpression

‘Rebels’ withdrew amendment, only 48 Labour MPs voted against and 50 MPs didn’t vote, so Kendall’s conscious-cruelty bill goes to 3rd reading

skwawkbox.org/2025/07/01/every…

Estoy viendo toots sobre qué si el fediverso está estancado, si bluesky pierde usuarios activos, sobre si la gente se vuelve o no a tuiter... y creo que da igual. El fediverso es muy nicho, es verdad, pero tiene la suficiente masa crítica de gente como para mantenerse mucho tiempo y que la gente establezca vínculos significativos. Por mí que se quede así, si quisiera un clon de tuiter me hubiera ido a bluesky.

Bluesky es eso, un clon de tuiter, para lo bueno y para lo malo, que es muy malo, con sus dinámicas tóxicas (el fediverso tampoco está exento de ellas, de eso ya hablaremos en otro momento), la Yihad sanchista, su dogpiling, su equipo de moderación dando la bienvenida a tránsfobos y al puto JD Vance, sus trolls de tuiter haciéndose pasar por gente de izquierdas y un puñado de influencers buscando desesperadamente el casito que tenían en Tuiter.

Puede que mucha gente se haya vuelto a tuiter, en realidad a la gente le da igual si la empresa es de un nazi, joder el ViñaRock batió récords de asistencia pese a saberse que estaba financiado por un fondo sionista implicado en el genocidio, la gente quiere selseo y dopamina y gritos, muchos gritos, joder que Sálvame fue líder de audiencia AÑOS. Pero también es verdad que tuiter es cada vez más una red social de bots hablando con bots.

Puede pasar que la gente esté hasta las gónadas de redes sociales de texto y especialmente la gente joven lo vea como algo arcaico, como si fuese el IRC (no estoy diciendo nada malo del IRC que os veo venir).

Igual es que soy un señor mayor pero me gusta que esta red social sea nicho. Yo que sé.

Kahana resigns from Gantz' party, may join Bennett's: Israeli media english.almayadeen.net/news/po…

Leaked Chats Show Pro-Israel Extremist Group Betar Organizing Street Confrontations

The secret chat logs include plans to burn Qurans and attack pro-Palestine protesters with pepper spray.

from #DropSiteNews
Murtaza Hussain and talia jane
Jun 29, 2025

"Far-right activists, including members of #Betar—a pro-#Israel extremist group known for racist violence—have been running a constellation of #WhatsApp group chats to plan counterprotests against pro-#Palestine demonstrations and commit potential hate crimes against #Muslims in #NYC.

The chat logs show its members, including individuals publicly affiliated with Betar US, discussing a range of plans and ideas...

Betar US also appears to have had some coordination with local government, with one member stating that they were forwarding information to a local state assemblyman."

dropsitenews.com/p/betar-prote…

#SolidarityWithPalestineIsNotAntisemitism
#StopGazaGenocide
#Gaza
#USA #US #USPolitics
#news #press #politics @palestine

A look at what’s behind the efforts to reshape how American history is taught

pbs.org/newshour/show/a-look-a…

Political cowardice hindering Europe’s climate efforts, says EU’s green chief theguardian.com/world/2025/jul… #Climatesciencescepticismanddenial #Extremeweather #Climatecrisis #EuropeanUnion #Greenpolitics #Environment #Worldnews #Europe #Spain

More than 80% of UK farmers worried about climate crisis harming livelihood, study finds theguardian.com/environment/20… #Food&drinkindustry #Extremeweather #Climatecrisis #Environment #Business #Farming #Drought #UKnews #Water

Tropical Storm Barry dissipates over eastern Mexico cubanews.acn.cu/world/27098-tr…

by PC gaming I actually mean i game on a politically correct sy-


I didn't try to do ANYTHING

I woke up today and SOME TOASTY TRISCUIT was SCREAMING ON TELEVISION ABOUT ALLIGATORS EATING MEN for legal reasons so I picked up a mallet and beat the shit out of a motherboard screaming THIS IS AN XBOX THIS IS AN XBOX THIS IS AN XBOX

I AM BLEEDING

THIS IS AN XBOX

GOD IS DEAD

I disowned my dad because he suggested "windows" as a solution for the home and I DONT FUCKING CARE IF HE MEANT REAL WINDOWS ON A HOUSE I'M DONE

Sweden bans AR-15 rifles for hunting; current owners must switch to sport shooting or surrender them. Confiscated weapons will be donated to Ukraine.

svt.se/nyheter/inrikes/uppgift…

#Ukraine #Russia #EU #Sweden

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The #Trump admin has *declined* to release nearly $7 billion in federal #funding for #schools that helps pay for after-school & summer programs, support for #students learning English, #teacher training & other services.

The money, which was already allocated by #Congress, was expected to be released by Tuesday. But in an email on Monday, the Trump *#Education* Department notified #state education agencies that the money would not be available.

#law #policy #idiocracy
nytimes.com/2025/07/01/us/trum…

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in reply to Nonilex

Yet another milestone achieved for Koch Network's Project 2025; the destruction of public education.

Bradley, Koch, Coors, Scaife Mellon, Seid & Uihlein want control of young minds for personal profit & partisan gain.
hep.gse.harvard.edu/9781682539…

Reconstituting segregation & White Supremacy for profit

msmagazine.com/2024/11/12/proj…

19thnews.org/2024/07/republica…

jacobin.com/2024/07/tax-founda…

urbanmilwaukee.com/2025/03/24/…

jacobin.com/2018/06/public-edu…

theguardian.com/us-news/2018/s…

washingtonpost.com/education/2…

1/

#OtD 2 Jul 1951 trans revolutionary icon and sex worker of Puerto Rican & Venezuelan descent, Sylvia Rivera, was born in the Bronx, NY. She was a leading figure in the gay liberation movt of the 60s-70s & powerful critic of its middle-class leadership workingclasshistory.com/2019/0…

Welfare not Warfare demonstration resists right-wing thugs | Counterfire

counterfire.org/article/welfar…

The Latest Trouble In Russian-Azerbaijani Relations Might Be Part Of A Turkish-US Powerplay korybko.substack.com/p/the-lat…

Join us at Jura Books for “Sydney Skill Sharing” a series of workshops on diverse topics. Grab some friends, collectivise our skills!

Workshops are held fortnightly on Saturdays, 5PM-6PM.

Our next upcoming workshop will be run by a talented guest visiting from the UK. They've offered bunch of exciting workshops that they could run on the 12th of July.

Which one do you want to see? Let us know in the comments 😀

> making an 8 page mini zine

> doing creative coding from the browser using p5.js

> hands-on data scraping (available in two versions: for those that know basic programming and those that don't)

> lino printmaking - carving anarchist stamps

Hungary: Antifa Prisoner Maja Hospitalized Following Hunger Strike


For almost a month, the non-binary antifa activist Maja has been on hunger strike to denounce the conditions of their imprisonment in Hungary and to ask to be sent back to Germany. On Tuesday, July 1, their health deteriorated so much that hospitalization was necessary. Maja was moved 260 km from Budapest to a hospital near the Romanian border.

Solidarity actions continue (banks have been stoned in Shwelm and Leipzig – see here and here), but in the face of this alarming situation, their supporters are calling for an intensification of mobilization.

Source: secoursrouge.org/hongrie-la-pr…

abolitionmedia.noblogs.org/?p=…

#antifa #europe #hungary #hungerStrike #Maja #PoliticalPrisoners

#2002
Tell me just what you want me to be
One kiss and boom, you're the only one for me
So please tell me why don't you come around no more
'Cause right know I'm crying outside the door of your candy store
Michelle Branch is 42
Catholic church south of the US border is not Christian..
youtu.be/HKLnmMacEB4?si=Q7wWYL…

#1978
I don't know how this whole business started
Of you thinkin' that I have been untrue
But if you think that we'd be better parted
It's gonna hurt me, but I'll break away from you
Joe Puerta, American rock bassist (Ambrosia) is 74
youtu.be/Ewg1LTLBGkE?si=e7Wnb0…

Apple's lawyers are complaining to me that I'm communicating with Apple, but those lawyers aren't Apple's lawyers on the new thing, & Apple hasn't retained lawyers & Apple won't let me talk to their own env lawyers. Lots of "na na na na can't hear you" energy going on right now.

It's like I'm some boyfriend they hate & never want to talk to again, except they committed crimes against me, nearly murdered me & have been trying to destroy my life. So, not quite the same.

FM explains why Botswana is interested in cooperation with Belarus eng.belta.by/economics/view/fm…

Friedrich Merz ist ein Typ von Schönwetter-Diversitäts-Repräsentant, der persönlich Minderheiten über die Klinge springen lassen würde.

Wenn er sich jetzt gütig gibt, weil an einem Tag die Pride Flagge am Bundestag gehisst wird, ist das auch nur so Feel-Good-Minderheitenrpogramm. Gerade so, dass es halt staatstragend wirkt, aber auf keinen Fall mehr.

Währenddessen haben Angehörige der LBGTIQA* täglich mit immer mehr Anfeindungen zu tun. Auch weil die Regierung das mitträgt.

in reply to Bianca Kastl

Beispiel zu Friedrich Merz' feindlicher Haltung gegenüber Schwulen:

„Über die Frage der sexuellen Orientierung, das geht die Öffentlichkeit nichts an. Solange sich das im Rahmen der Gesetze bewegt und solange es nicht Kinder betrifft - an der Stelle ist für mich allerdings eine absolute Grenze erreicht - ist das kein Thema für die öffentliche Diskussion.“

handelsblatt.com/politik/deuts…

(2020)

in reply to Bianca Kastl

Haltung zum Thema "zwei Geschlechter": Konservativ diskriminierend, aber halt so, es lieber andere sagen lassen:

rnd.de/politik/friedrich-merz-…

(2025)

in reply to Waldläuferin 🌻

Na klar will Frau #Klöckner nicht, dass im Bundestag #Lügen auch klar als soche bezeichnet werden. Sie hat doch schon oft genug selbst Lügen verbreitet und will sich diese Option offensichtlich weiter offen halten.

tagesspiegel.de/gesellschaft/d…

Hebrew media warned settlers around the Gaza Strip as far as Beersheba that tonight you will hear the terrible sounds of explosions from Gaza, and that the intensity of the attacks and explosions tonight will be much greater and stronger than the previous nights.

#Gaza #SaveGaza #StopIsrael #SanctionIsrael #BDS
#palestine #Israel #Politics #Genocide #PeaceNow #StopTheWar #CeasefireNow @palestine@a.gup.pe @israel @palestine@lemmy.ml

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Written by Scott VanBommel, Planetary Scientist at Washington University in St. Louis Earth planning date: Monday, June 30, 2025 Our weekend drive placed Curiosity exactly where we had hoped: on lighter-toned, resistant bedrock we have been eyeing for close study. Curiosity’s workspace tosol did not contain any targets suitable for DRT. After a detailed discussion […]

#GazaGenocide / A cafe in the Gaza Strip was bombed from the sea, killing 34 of its residents, including a journalist

At least 20 people were killed and many more injured in intensive bombing by Israeli forces across Gaza, according to medical reports. The bombing began at dawn, hitting multiple locations and causing severe damage to buildings and civilian infrastructure. Seven of the dead were reportedly shot while waiting for humanitarian aid. A cafe in the Gaza City port, which also provided internet services, was struck, killing journalist Ismail Abu Hatab and injuring journalist Biyan Abu Saltan. The situation in Shifa Hospital is catastrophic, with many wounded arriving with burn injuries and a lack of resources. Since the start of the offensive on October 7, 56,531 civilians have been killed and 133,642 injured.

[…] Shifa Hospital reported last night that 34 people were killed in an Israeli military strike in the Gaza City port area, including women and children. Palestinian media reported that the navy carried out the strike, targeting an area where civilians were not asked to evacuate. It was also reported that the target of the strike was a cafe in the port that provided internet services to dozens of people. The Israeli military stated that several "Hamas terrorists" were attacked and that the incident is under investigation. According to the French news agency, the cafe where the strike occurred was a cafe that provided internet services, and among the dead was journalist Ismail Abu Hatab, and among the wounded was journalist Biyan Abu Saltan.

Hebrew zoha.org.il/138342

@palestine
@israel
#GazaGenocide

Unknown parent

pleroma - Link to source

EscapeVelocity

Yes I have 2 Camrys.

The 2002 is the beater Daily Driver.
The 2014 is the Sunday Best vehicle.

I actually like the engine on the 2002 better. But they are both pre Gasoline Direct Injection ie traditional Fuel Injector engines. 4sp Aisin automatic on the 2002 and 6sp Aisin automatic on the 2014. Bulletproof.

This entry was edited (2 weeks ago)

NEW: The President of the United States just threatened to arrest Zohran Mamdani, strip his citizenship, and dump him in a detention camp — not for any crime, but for standing up to ICE raids in NYC.

The message is clear: if you speak up, they’ll come for you. We have to defend our democracy. #press

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Starship Troopers 2: Hero of the Federation (2004)
88min | Action Adventure Horror SciFi | May 2004

In this sequel, a group of troopers taking refuge in an abandoned outpost after fighting alien bugs, failing to realize that more danger lays in wait.

Director: Phil Tippett

Cast: Billy Brown, Richard Burgi, Kelly Carlson, Cy Carter, Sandrine Holt, Ed Lauter, J.P. Manoux, Lawrence Monoson, Colleen Porch, Brenda Strong, Brian Tee, David Wells

ww1.goojara.to/mjPgL2

#StarshipTroopers